Aujourd’hui, dans le système EDIFACT, un même siège aérien est exposé à 26 tarifs différents, en fonction du moment où on le réserve. Même si les arcanes du yield management comportent des subtilités que les directeurs commerciaux des compagnies eux-mêmes avouent ne pas totalement maîtriser, on peut dire schématiquement que ces 26 tarifs correspondent aux 26 marches (qu’on appelle “classes”) d’un escalier ascendant. 26 tarifs comme autant des 26 lettres de l’alphabet dont ils sont chacun affublés. Le passage d’une classe à l’autre est fonction du taux de remplissage de l’avion ainsi que de l’environnement concurrentiel de la route, de la date et de l’horaires considérés, entre autres.

La NDC comporte un changement majeur par rapport à EDIFACT : ce sont les compagnies (et non plus les GDS) qui hébergent leurs tarifs. Dès lors, elles peuvent se prêter à un management tarifaire beaucoup plus fin, et c’est ce qu’elles font en multipliant les classes. Doté de marches beaucoup plus nombreuses et beaucoup moins hautes, l’escalier tend à devenir une courbe continue… Le terme de “continuous pricing” est donc bien choisi.

Dans ces conditions, l’affirmation de Bertrand Flory semble indiscutable. En effet (et, encore une fois, d’une façon schématique), si aujourd’hui, je réserve mon billet alors qu’il quitte la classe où il coûtait 100, je le paierai 120. Avec NDC, je le paierai 102 ou 104 ou 112 ou, même, plus tard, 120, mais au moment ultime, avant qu’il ne passe à 122… qui correspondrait à une bascule vers 140 (ou 130 ou 150, les marches n’étant pas de la même hauteur) en EDIFACT. On a donc bien un prix du billet NDC inférieur ou égal à EDIFACT.

Qu’a-t-on pu constater empiriquement ?
Voilà pour la théorie. Mais les enjeux budgétaires des entreprises conseillées par des cabinets sont trop importants pour que leurs consultants s’en tiennent là. Alors, certains d’entre eux se sont collés à la comparaison de tarifs EDIFACT vs NDC pour des sièges comparables, tripatouillant “a la mano” de la data OBT, sur des échantillons forcément réduits et, oserait-on dire, au doigt mouillé.

C’est le cas de Christophe Roth. Et les résultats sont spectaculaires : des tarifs NDC de 8 à 12% moins élevés qu’en EDIFACT. Il en attribue le bénéfice au continuous pricing. Mais il reconnaît dans le même temps que certains tarifs bas ne sont plus forcément présents dans EDIFACT. Un biais qui n’est pas à minorer… mais qu’il est impossible de mesurer !

Pour AREKA Consulting, Aurélie Duprez a fait de même : “On a mené un audit pour une entreprise du CAC 40 sur ses top routes en 2023. Dans 90% des cas, les billets NDC étaient moins élevés ou égaux aux billets EDIFACT”. Elle n’en tire cependant pas de conclusions hâtives et se réjouit d’un post LinkedIn dont elle nous signale l’existence. Natasha Samuel, basée à Londres pour le compte d’Egencia, y annonce que son outil va désormais comporter un champ identifiant NDC dans les reportings post-trip. Cette fonctionnalité, qui va, un jour ou l’autre, très vraisemblablement se généraliser, permettra de se prêter à un monitoring plus fin et plus fiable.

Mais pourquoi une telle générosité ?
En attendant, plusieurs questions se posent, cependant. La première tient à la pente de l’escalier. En effet, le bénéfice dû à NDC, que nous avons mis en évidence dans le cas d’un escalier ascendant, se transforme en perte à la descente. On passe alors, pour les mêmes raisons, de 120 à 118 en NDC plutôt que de 120 à 100 en EDIFACT !

Nous avons contacté Thadée Nawrocki, directeur des ventes France et Luxembourg du groupe Lufthansa, pionnier en matière de NDC. Sa réponse est claire : “Franchement, sauf cas exceptionnel, la courbe descendante, ça n’arrive jamais”. Soit. Mais ce qui est vrai pour la Luft – et certainement d’autres legacy – ne se vérifie pas forcément pour d’autres compagnies. On se souvient très précisément d’une discussion avec Birgir Jonsson, CEO de l’islandaise PLAY Airlines. Leur yield management est tel que la courbe des prix est une oscillation avec une offre “last minute” en cas de difficultés à remplir l’appareil. Certes, PLAY est une compagnie lowcost, pas forcément désireuse, quoiqu’il en soit, d’adopter la NDC et, donc, le continuous pricing. Mais c’est encore une incertitude que seuls le temps, le recul, la data permettront de lever.

La deuxième question tient au fait que les compagnies aériennes ne sont pas des entreprises philanthropiques. Pourquoi, donc, les airlines mobiliseraient tant de ressources sur ce continuous pricing si c’est pour vendre leurs billets moins chers ? 

“C’est vrai que ce sont des millions d’investissements, reconnaît Thadée Nawrocki. Mais une fois que c’est mis en place, tout roule”… jusqu’à la prochaine grosse innovation “yield management” qui n’arrive tout de même pas tous les quatre matins. Quoique l’IA pointe le bout de nez et on voit mal comment elle ne pourrait pas l’y fourrer dans un tel sujet algorithmique.

Il poursuit : “En fait, le continuous pricing a clairement pour but d’améliorer notre yield management. Je précise que ça se joue à la décimale mais les marges des compagnies étant tellement réduites, ce n’est pas du luxe (…) Le prix moyen du billet devrait baisser mais le continuous pricing, c’est pour les 20 ou 30 dernières places à vendre : avec ce système, on est beaucoup plus fin pour toucher le willingness to pay (le prix que le passager potentiel est prêt à payer, ndr)”.

Négociations
Ce qui implique – et c’est ici ce qu’on en déduit et non le commentaire de Thadée Nawrocki – que les gains sur les 20 ou 30 dernières places fassent plus que compenser les dizaines d’autres places vendues moins cher dans le même appareil. Pourquoi pas… On avoue ici nos limites à analyser un revenu management dont la recette est aussi bien gardée que celle du Coca-Cola homemade de mon arrière-grand-mère.

On ajoute aussi – et, une fois de plus, Thadée Nawrocki n’abondait pas explicitement dans notre sens – que le continuous pricing fait partie du “package” NDC. Et que celui-ci comporte aussi – c’est du moins l’un de ses objectifs affichés – une mise en avant plus efficace des services ancillaires. Ça aussi pourrait être un moyen de récupérer davantage ici que ce qu’on soustrait là-bas.

Dans ce cas, pour que les entreprises y gagnent, il leur faudrait bien visser leur politique voyage alors que les offres ancillaries se feraient plus alléchantes. Pas forcément évident. Les entreprises, justement, concluons avec elles puisque ce sont elles, finalement, qui achètent ou achèteront des trajets aériens plus, moins ou également chers, on verra. La parole à Aurélie Duprez : “Depuis 12 ans que je m’en occupe, la façon de négocier entre entreprises et compagnies aériennes n’a pratiquement pas évolué. Avec le continous pricing, quel sens ça aura de discuter de discount par classe de prix ? Est-ce que, notamment, le prix moyen par route ne devra pas être au centre des débats ?”

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