Argument de justice sociale
La raison la plus évidente de lutter contre l’inflation est qu’elle crée un brouillard d’incertitudes. Compliquant les calculs, elle freine investisseurs et épargnants. Cet argument, qui figure sur les sites des banques centrales , n’a pourtant pas été employé récemment. Et les économistes n’ont jusqu’à présent pas réussi à prouver que l’inflation pesait sur la croissance.

Lors de l’université d’été des banquiers centraux qui s’est tenu fin août à Jackson Hole, Jerome Powell a invoqué une autre raison : « Les fardeaux de l’inflation tombent le plus lourdement sur ceux qui sont le moins capables de les supporter. » Le président de la Réserve fédérale a donc employé un argument de justice sociale et non d’efficacité économique, ce qui n’est pas fréquent dans la finance.

Repéré en 1857
Ce faisant, Powell s’inscrit dans la continuité. Il y a plus de trente ans, le directeur du Trésor français Jean-Claude Trichet avait convaincu le ministre socialiste de l’Economie Pierre Bérégovoy de la nécessité de lutter contre l’inflation en lui expliquant que la hausse des prix pénalisait davantage les plus pauvres.

Là encore, l’argument semble évident. L’inflation est aujourd’hui tirée par l’énergie et l’alimentation. Ces deux postes font 28 % des dépenses chez les moins aisés et seulement 20 % chez les plus aisés (chiffres Insee pour la France, premier et dernier décile des revenus). Les pauvres souffrent donc plus de l’inflation que les riches. Rien de très nouveau : le statisticien allemand Ernst Engel avait repéré que la part du budget alloué à l’alimentation diminue quand le revenu augmente… en 1857.

Une étude fascinante
Les économistes ont néanmoins publié beaucoup de travaux autour de cet effet de l’inflation au cours des dernières années. Ils montrent le plus souvent que la hausse des prix renchérit davantage le panier des petits revenus, dans des circonstances très variées : confinements de 2020 aux Etats-Unis, suite de la dévaluation de 1994 au Mexique, France de la mi-2021 à la mi-2022 , etc.

Les plus bas salaires sont protégés de l’inflation par l’indexation automatique et rapide du SMIC. Les prestations sociales ont aussi une protection, moins forte. Les salaires plus élevés, eux, sont en retard.

Xavier Jaravel, un économiste français de la London School of Economics, a fait une étude fascinante aux Etats-Unis sur une décennie (2004-2015). A première vue, quand on répartit la consommation en dix grands postes, l’inflation est subie de la même manière à tous les niveaux de revenu. Au contraire, quand on regarde de beaucoup plus près en examinant plus de 1.000 catégories de produits, le pouvoir d’achat des plus démunis est davantage érodé par la hausse des prix.

Bas salaires protégés
Mais ce n’est qu’une partie de l’histoire. Galo Nuño, le patron du département d’analyse macroéconomique de la Banque d’Espagne, a mené avec une équipe de chercheurs un travail décortiquant l’impact inégalitaire de l’inflation en Espagne en 2021 par trois mécanismes : cet effet consommation donc, mais aussi l’effet revenu (salaires et prestations sociales sont ajustés à l’inflation avec retard et souvent partiellement) et l’effet dette (les débiteurs qui ont emprunté à taux fixe remboursent leurs créanciers, souvent plus riches qu’eux, en monnaie dépréciée).

Les économistes montrent que si l’effet consommation pénalise les plus pauvres, il est beaucoup plus faible que les deux autres effets… qui touchent davantage les plus aisés. En France, il en va sans doute de même pour l’effet revenus en ce moment. Les plus bas salaires sont protégés de l’inflation par l’indexation automatique et rapide du SMIC. Les prestations sociales ont aussi une protection, moins forte. Les salaires plus élevés, eux, sont en retard.

Les salaires perdent du pouvoir d’achatsource : McKinsey (hausse sur un an en %, inflation en blanc, salaires en bleu, pouvoir d’achat en rouge)

L’inflation n’accroît donc pas mécaniquement les inégalités. Tout dépend des formes d’inflation, des mécanismes d’indexation, des pays, des patrimoines, des règles financières, etc. Les banquiers centraux devront trouver une autre bonne raison de lutter contre l’inflation.

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