Un Sam Bankman-Fried repentant, mais surtout avide de se disculper. Mercredi soir, le patron déchu de FTX a répondu en direct aux questions du journaliste du New York Times Andrew Ross Sorkin, lors d’une conférence organisée par le groupe de presse. L’ancien prodige des cryptos est apparu en visioconférence depuis son repaire des Bahamas, vêtu de son éternel T-shirt noir, le bras droit agité d’un tic nerveux. Il a été accueilli par des applaudissements polis, ce qui a choqué certains investisseurs et clients, menacés de ruine.

« J’ai fait beaucoup d’erreurs », « je n’ai jamais essayé de frauder », « j’ai été choqué » par l’étendue du désastre, a concédé le trentenaire, en réaction au courrier d’un lecteur affirmant avoir perdu deux millions de dollars, les économies d’une vie, dans le naufrage de l’empire FTX.

Le fondateur a regretté d’avoir attendu le 6 novembre pour demander un tableau de bord précis des finances de la société. « J’ai commencé à penser à une banqueroute », a-t-il raconté – elle est intervenue le 11 novembre. Il s’est accusé d’avoir « failli dans la supervision » de son business, d’avoir « sous-estimé l’étendue du krach du marché ».

A ses yeux, le vrai problème, c’est d’avoir pris des positions « trop grosses » à ce moment, mais pas d’avoir emprunté l’argent des clients de la plateforme FTX pour offrir de la liquidité à la société de trading Alameda. Sa méconnaissance des risques pris par son empire s’explique aussi par sa « peur des conflits d’intérêts », assure-t-il.

Livre d’histoire
« Vous pouvez penser que je suis fou mais je pense que Sam Bankman-Fried dit la vérité », a commenté sur Twitter l’activiste Bill Ackman, qui fut remercié de son soutien par l’intéressé. L’intervention du patron de FTX semble en revanche avoir été sans effet sur le marché. La capitalisation mondiale des cryptos et du bitcoin (16.400 euros) est demeurée stable à 860 milliards de dollars. « L’effondrement de FTX est un crime, pas un accident, et son auteur est un fraudeur qui mérite d’entrer dans les livres d’histoire », a de son côté écrit David Morris, un des éditorialistes de Coindesk, le média qui avait précipité la chute de Sam Bankman-Fried.

Risques
Dans l’émission « Bonjour l’Amérique » sur la chaîne ABC, l’ancien trader a déclaré jeudi qu’il n’avait consacré « ni le temps ni les efforts nécessaires à essayer de gérer les risques chez FTX » et que c’était « évidemment une erreur ». « Si j’avais passé ne serait-ce qu’une heure par jour à réfléchir à la gestion des risques, je ne pense pas que serait arrivé. Et je ne me sens coupable à ce sujet ».

Trous de mémoire
En « tournée de la rédemption », l’ex-patron de FTX n’avait pas attendu mercredi pour distiller sa version de la plus retentissante faillite de la sphère des cryptos. La journaliste indépendante Tiffany Fong a publié l’enregistrement d’une interview avec lui datant du 16 novembre. Il dévoile, à l’occasion de cette opération de communication, des aspects inédits de la chute de son empire… en s’exonérant de toute faute et en ayant apparemment des trous de mémoire. Il ne sait ainsi plus ce qu’il a fait de sa participation de 100 millions de dollars dans Twitter, laquelle figurait bien dans les actifs de FTX, juste avant la faillite, mais à hauteur de 43 millions de dollars .

« Mes avocats m’ont conseillé d’arrêter de m’excuser, je leur ai dit d’aller au diable », dit-il. Dans l’hypothèse d’un procès, ils n’ont pas fini d’avoir des sueurs froides. Il dément d’abord avoir été l’instigateur des transferts d’argent entre sa plateforme FTX et sa firme de trading Alameda Research . Selon la presse américaine, qui se fonde sur des témoignages d’anciens de FTX, c’est pourtant Sam Bankman-Fried en personne qui décidait des montants et des transferts des dépôts des clients vers son hedge fund afin d’en combler les pertes ou de lui apporter des liquidités pour spéculer davantage. « C’est catégoriquement faux », s’en défend-il.

En revanche, il concède qu’il a encouragé des personnes et sociétés à transférer de l’argent dans les comptes bancaires d’Alameda s’ils voulaient devenir client de FTX. La plupart des banques ne voulaient pas traiter avec FTX (une plateforme offshore) et lui envoyer de l’argent, à la différence d’Alameda qui avait sa banque partenaire Silvergate. Des clients qui voulaient déposer de l’argent sur la plateforme FTX l’ont donc transféré de leur banque vers Alameda, qui a joué le rôle d’intermédiaire et a ensuite reversé les fonds à FTX… Ce tour de passe-passe a peu de chance d’être du goût de la justice américaine.

100 % solvable
Dans le pire des cas, Sam Bankman-Fried estime que les clients de FTX (une plateforme enregistrée à Antigua-et-Barbuda et dont le siège social est aux Bahamas) perdront 75 % de leurs dépôts. Il est en revanche formel pour la filiale américaine de FTX (FTX US) régulée par la Commodity Futures Trading Commission : ils récupéreront l’intégralité de leur argent chez cette filiale « 100 % solvable ». En théorie, les résidents américains ne pouvaient utiliser que FTX US, pas FTX.

LTCM des cryptos
« 8 minutes après que j’ai décidé de placer mon groupe en faillite, j’ai récupéré 4 milliards de liquidités », peste-t-il. Il laisse entendre que l’effondrement de son empire aurait pu être évité. « Avec mon background (NDLR : une allusion à son début de carrière de trader), j’aurais dû anticiper ces mouvements extrêmes sur les marchés et la forte corrélation entre toutes les cryptos. Cela rappelle LTCM (NDLR : le hedge fund des anciens traders de Salomon Brothers qui fit faillite lors de la crise russe de 1998) ».

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