Dans les stations-villages de moyenne altitude du pays du Mont-blanc, comme Saint-Gervais-les-Bains ou Combloux, l’enneigement commence à devenir un vrai sujet. A en croire les professionnels, les dégâts sont limités pour l’instant cette année. « Notre domaine skiable monte jusqu’à 2.400 mètres d’altitude, or la neige est de bonne qualité sur sa partie haute ! Nous allons même battre notre record de fréquentation cet hiver », assure Didier Josèphe, le directeur de l’Office de tourisme de Saint-Gervais. Même discours à Combloux où 80 % du domaine skiable était ouvert la même semaine.
Mais l’inquiétude pointe pour la suite de la saison, malgré les canons à neige. « Les enneigeurs fonctionnent entre -5 °C et -2 °C. Or c’est un peu juste en ce moment, même la nuit… », s’alarme Françoise Jacquier, chargée de la transition au conseil municipal de Combloux. Il n’est pas sûr que les quelques centimètres tombés ces derniers jours l’aient rassurée.
Ici, comme partout en moyenne montagne, le réchauffement climatique devient réalité, un peu plus vite qu’ailleurs. Selon Météo France, la température moyenne dans les Alpes a déjà augmenté de +2 °C au cours du vingtième siècle, contre +1,4 °C en moyenne en France. Au pied du Mont-Blanc, la dernière étude « ClimSnow » est devenue la bible des élus locaux. Réalisée par les scientifiques de Météo France, l’Inrae et Dia4s, elle fournit pour chaque territoire des projections sur plusieurs décennies en matière de température et d’enneigement.
Pistes fermées jusqu’au 15 janvier
« A Saint-Gervais, il y aura davantage d’années sans neige… », reconnaît, en s’y référant, Jean-Marc Peillex, le bouillonnant maire du village (par ailleurs réputé pour sa croisade contre le surtourisme dans la région). Et ce, même s’il se dit convaincu qu’« il n’y a pas de réchauffement climatique… Seulement un changement climatique, qui existe depuis des décennies ! »
Il n’y a pourtant guère de doute. L’évolution du climat s’accélère à vitesse grand V. Il y a certes toujours eu des hivers sans neige dans la région, et l’an dernier, les pistes sont de même restées fermées jusqu’au 15 janvier . « Le directeur de l’école de ski a dû proposer d’autres activités pour les enfants inscrits : 70 % d’entre eux ont maintenu leur inscription », raconte Aurélien Astre, le directeur de l’office de tourisme. A Saint-Gervais, il a été décidé de fermer partiellement le domaine skiable dès le 1er avril cette année, au lieu du 15 avril habituellement, notamment en raison de la faible rentabilité sur la quinzaine.
« C’est compliqué depuis trois ans »
Les professionnels du ski ne sont pas les seuls à être touchés. Face à au panorama extraordinaire sur la chaîne du Mont-Blanc depuis Combloux, l’accompagnateur en montagne Rémy De Vos a vu le nombre d’itinéraires possible pour ses sorties en raquettes fondre – lui aussi – comme neige au soleil.
Cette année, il a même renoncé aux sept igloos qu’il bâtissait traditionnellement pour héberger des touristes, de fin janvier à mi-mars, à 1.600 mètres d’altitude. « C’est compliqué depuis trois ans. L’an dernier les parois des igloos ont fondu à certains endroits, j’ai dû mettre des bâches, qui s’envolaient avec le vent… une vraie galère ! J’ai préféré ne pas prendre le risque cette année », dit-il.
Pour les guides de haute montagne aussi, le métier a changé. Point de départ du tramway à crémaillère qui mène au nid d’Aigle, première étape de la voie normale de l’ascension du Mont-Blanc, Saint-Gervais est réputée pour l’alpinisme. Mais le réchauffement fait fondre le permafrost, jusque-là gelé en permanence, provoquant des risques de chutes de blocs sur les parcours. « Depuis une dizaine d’années, certaines courses deviennent dangereuses l’été. Alors, on se creuse la tête pour en trouver d’autres, on se convertit aux itinéraires rocheux… », raconte Olivier Begain, président de la Compagnie des guides.
Sources taries
Le réchauffement climatique frappe aussi de plein fouet un autre secteur crucial dans la région : l’agriculture. Guillaume Mollard, qui exploite un élevage de 66 vaches dans la vallée, à quelques kilomètres de Saint-Gervais, en témoigne. « Depuis 2003, on doit monter de l’eau à l’alpage en moyenne tous les deux ans. Mon arrière-grand-père avait dû le faire une fois pendant sa carrière. Et mon grand-père, trois fois… », raconte-t-il. La fonte des neiges alimente la source qui permet aux animaux de s’abreuver. S’il neige moins, la source se tarit. « Il n’est pas rare, désormais, qu’il n’y ait plus d’eau dès le 10 juillet », se désole-t-il.
Problème : une vache consomme 100 litres d’eau par jour. Ces dernières années, les communes ont dû financer des retenues d’eau pour alimenter les alpages, qui le plus souvent leur appartiennent. « Nous avons de notre côté investi 70.000 euros en 10 ans dans les réseaux d’eau. Nous récupérons aussi l’eau de pluie pour laver les machines, nous avons installé des toilettes sèches pour les randonneurs… », indique Guillaume Mollard.
Sans parler de l’impact du réchauffement sur l’alimentation des animaux. « On n’arrive plus à récolter assez de fourrage lors de la deuxième coupe de nos champs ! Depuis 3 ou 4 ans, nous sommes obligés d’en acheter ! », explique Flavie Melendez de la ferme des Roches Fleuries, qui exploite deux troupeaux (25 vaches et 40 chèvres laitières). Ces fermes de Haute-Savoie n’ont pas trop le choix. Elles vivent du reblochon AOP (d’appellation d’origine protégée), un label qui les contraint à nourrir les vaches de fourrages locaux et de les faire pâturer pendant au moins 150 jours.
Les températures pèsent aussi sur la productivité des animaux. Lors de la canicule de 2022, elles ont grimpé à 40 °C au soleil à 1.750 mètres d’altitude, sur l’alpage de Guillaume Mollard. « Les vaches ont perdu 100 kilos, un sixième de leur poids ! Et leur production de lait a diminué de 4 ou 5 litres par jour, sur 25 litres… », dit-il.
« Nous n’avons pas de leçons à recevoir ! »
Pour l’économie locale, la menace est patente. Comment affronter un avenir moins enneigé ? Même si les élus de ces stations-villages ont commencé à se diversifier il y a vingt ans déjà, les sports d’hiver restent le socle de l’économie touristique locale, admet Didier Josèphe.
A Combloux, sur les 38 millions d’euros de revenus générés par le tourisme, 32 millions le sont en hiver. « Il y a deux ou trois générations, c’était la misère ici. C’est grâce au ski que nous en sommes sortis… », rappelle de son côté Benoît Thomasson, directeur général des services à la mairie.
S’ils reconnaissent la nécessité de s’adapter, les acteurs locaux ne masquent pas leur agacement face à « une vision jacobine » qui leur imposerait « des décisions péremptoires depuis Paris ». « Nous n’avons pas de leçons à recevoir ! », tacle Benoît Thomasson.
Neige de culture
Pas très bien accueilli dans la région, le rapport de la Cour des comptes paru il y a quelques jours considère par exemple la neige de culture comme une « mal adaptation ». « Au contraire, c’est l’avenir ! », répond Jean-Marc Peillex. « Elle permet de stocker, sous forme de neige, de l’eau qui sinon partirait tout droit à la mer. »
Les retenues d’eau ici sont alimentées, non pas par pompage des nappes phréatiques, mais avec de l’eau de pluie ou des torrents, et les enneigeurs fonctionnent sans adjonction de produits chimiques. En outre, les retenues collinaires servent aussi l’été de plan d’eau pour les touristes ou de réservoir pour les animaux, font valoir les élus.
Quant à l’énergie nécessaire, « nous en avons trop dans la région ! » balaie le maire de Saint-Gervais. Le directeur du domaine skiable de la station, Alexandre Merlin, invoque, lui, plutôt l’emploi local. « C’est de l’énergie qui sert à faire vivre des dizaines de gens en montagne. Pour moi, ce n’est pas de la mal adaptation », avance-t-il.
VTT, parapente, luge 4 saisons, nage en eau froide…
Depuis plusieurs années, ces stations-villages proposent de nouvelles activités hors ski – même en hiver. Dans le ciel bleu de ce 15 février, les montgolfières ayant décollé de Praz-sur-Arly (qui appartient aussi à la communauté de communes du pays du Mont-Blanc) dérivent à l’horizon. Les thermes de Saint-Gervais ont été rénovés.
Les offres fleurissent : VTT, trottinette, parapente, via-ferrata, canyoning, saut à l’élastique, luge 4 saisons, nage en eau froide. De même que les festivals ou les visites culturelles du patrimoine local (les jolies églises baroques pullulent dans la région). Combloux a même créé un « escape game » : « le mystère du chalet abandonné ».
Certains investissements sont revisités en conséquence. A Saint-Gervais, l’espace de ski « débutants » a été déplacé de 1.400 à 1.800 mètres d’altitude, pour préserver le plus longtemps possible les écoles de ski. Le nouveau télésiège du Chattrix, inauguré en 2019 à Saint-Nicolas-de-Véroce, pourra être adapté au transport de VTT si besoin, assure Alexandre Merlin.
A Combloux, l’investissement de 14 millions d’euros prévu dans le remplacement du télésiège de Beauregard, à compter de l’hiver 2025/2026, prévoit déjà, lui, un équipement mixte (sièges et cabines) qui permettra de monter les VTT en été . « Mais on ne veut pas faire une montagne Disneyland… », assure Aurélien Astre.
Elus désarçonnés
L’inflexion est encore timide. Les acteurs locaux semblent désarçonnés face au bouleversement qui s’annonce. Ils espèrent attirer de nouveaux habitants pour faire vivre leurs bourgs, misent sur le panorama, l’artisanat, les « valeurs » du « territoire », un nouveau tourisme de « contemplation »…
Tout en reconnaissant que la transition n’aura rien d’évident. « On n’inventera pas le modèle qui nous permettra de générer 6 millions d’euros de chiffre d’affaires en 6 semaines (comme aujourd’hui les remontées mécaniques), il ne faut pas se mentir… », déplore Benoît Thomasson.
Comme la plupart des professionnels rencontrés, le directeur du domaine skiable de Saint-Gervais, Alexandre Merlin, avoue avoir tout juste entamé sa réflexion sur l’adaptation au changement climatique. « C’est devenu une préoccupation de tous les jours », dit-il. « Mais on n’a pas encore trouvé les réponses… »
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