Le gendarme des transports tire le signal d’alarme au sujet de SNCF Réseau. Malgré l’effacement par les contribuables de 35 milliards de dettes accumulées dans le passé, puis le versement de 4,3 milliards de cash par l’Etat au plus fort de la crise du Covid, cette société anonyme logée au sein du groupe SNCF reste un réel élément de fragilité – et un motif d’interrogation à moyen terme dans la galaxie ferroviaire nationale.
L’entreprise, qui entretient les 27.700 kilomètres de lignes avec plus de 50.000 agents et qui se rémunère en grande partie avec les recettes des péages ferroviaires , vit de plus en plus aux crochets de SNCF Voyageurs et de l’Etat-actionnaire. Ce qui n’était pas le sens de la démarche du « contrat de performance » signé avec l’Etat en 2022 pour la période 2021-2030, comme le pointe un avis sans concession de l’Autorité de régulation des transports (ART), publié début février.
Dérive de la marge opérationnelle
Après examen du projet de budget 2024 de l’ex-Réseau ferré de France (RFF), l’ART ne mâche pas ses mots, dans un avis adopté fin novembre mais publié quelques mois plus tard : « Pour la troisième année consécutive, SNCF Réseau ne respectera pas la trajectoire de marge opérationnelle prévue par le contrat de performance pour la période 2021-2020, en contravention avec ses statuts. »
Car depuis 2022, retrace le gendarme des transports, la filiale de la SNCF « s’écarte progressivement de l’ensemble des indicateurs de performance financière prévus au contrat ». Malgré la reprise des trafics ferroviaires, particulièrement nette après la fin des confinements.
Pour 2023, sa marge opérationnelle « s’établit largement au-dessous de son objectif fixé par le contrat, ce qui conduit à une rentabilité nettement inférieure à la trajectoire prévue », poursuit l’Autorité. La sacro-sainte « règle d’or » (le ratio entre dette financière et marge opérationnelle), prévue dans le pacte ferroviaire de 2018, « décroche fortement de sa trajectoire initiale », ajoute l’organisme indépendant.
Le poids de l’inflation
Sur le plan des recettes, les grèves à la SNCF du premier trimestre 2023 ont engendré des trafics annuels, donc des péages, en net retrait par rapport à la trajectoire du contrat (-6,3 %). Côté coûts, l’inflation générale, dont celle des chantiers de BTP et les hausses de salaires versées à tous les cheminots SNCF (+12 % en deux ans), pèse sur les comptes.
« Le contrat de performance élaboré en 2021 comportait une vraie ambition de trafic supplémentaire, mais la réalité a été inférieure, commente une source informée. Les recettes des redevances ont été inférieures aux prévisions, l’arrivée de nouveaux entrants (Trenitalia, Renfe) a été plus progressive que prévu, et les coûts ont augmenté avec la crise inflationniste. Pour 2024, Réseau n’a pas voulu répéter le même scénario. »
Soutien financier intragroupe
Dans ce contexte plutôt adverse, les investissements dans la rénovation des voies ont perduré, et seront même amplifiés en 2024, grâce à un outil magique : le « fonds de concours ». Cette sorte de budget annexe, géré directement par Bercy, acte le fait que l’Etat-actionnaire renonce à ses dividendes sur la SNCF et les reverse en totalité dans la modernisation du réseau ferré.
SNCF Voyageurs surtout , mais aussi les filiales Keolis ou Geodis, apportent ainsi leur écot, qui va croissant. Des vases communicants traduisant la dépendance croissante de Réseau au groupe SNCF en matière de soutien financier.
Déjà, l’an dernier, l’ex-RFF avait reçu un « abondement exceptionnel du fonds de concours très supérieur à la prévision du contrat », soit 858 millions de plus, note l’ART. En 2024, Réseau « bénéficiera de 1,71 milliard de concours financiers provenant du groupe SNCF , un niveau inédit » selon l’autorité publique indépendante. Le fonds de concours a ainsi été abondé de 313 millions, plus les 300 millions supplémentaires alignés dans le cadre du « plan à 100 milliards » de relance du ferroviaire annoncé par l’ex-Première ministre Elisabeth Borne . De quoi contribuer aux grands travaux nationaux (nouveau système de signalisation ERTMS, future ligne TGV Bordeaux-Toulouse, Roissy-Picardie…)
Face à une telle dérive, l’ART préconise deux pistes pour le gestionnaire d’infrastructures : « favoriser à moyen terme une croissance de l’offre de transport », notamment sur la grande vitesse. En clair, multiplier les rabais sur les péages à de nouveaux entrants. « Mais à la fin, ce sont toujours les exploitants qui ont besoin de matériel roulant et qui décident, de même pour les autorités organisatrices qui calent leurs plans de transport », tempère une source ferroviaire.
Second levier préconisé, « accentuer les efforts pour maîtriser les coûts d’exploitation » : ce qui aurait été réalisé en bonne partie, SNCF Réseau ayant démontré à l’ART être sur la trajectoire prévue en matière d’économies pour la partie qui lui incombe en propre. L’objectif est de comprimer ses dépenses (achats, etc.) de 1,5 milliard sur une longue période 2017-2026.
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