TRIBUNE // En novembre 2023, l’OMS alertait sur les dangers d’une pandémie globale touchant un quart de la population mondiale : celle de la solitude, véritable « mal du siècle » selon l’économiste Daniel Cohen. Conséquence du délitement du lien social et du triomphe de l’individualisme, elle dessine le portrait d’une humanité qui peine à « vivre ensemble », à fabriquer du collectif ou à se penser en commun. Or, l’Homme est bien un « animal politique », incapable de trouver le bonheur ailleurs qu’en société et perpétuellement en quête de « communs », ressources partagées et gérées par la communauté. Dans cette nouvelle tribune du Club des bons ancêtres, Yves Pellicier, président de MAIF réfléchi à la résilience de ces « communs ».
Le Club des Bons Ancêtres
– 29 février 2024
Cette quête s’inscrit dans une histoire. Celle du cum-munus, ou la co-obligation qui nous engage depuis toujours en tant que membres de la « cité ». Elle s’inscrit aussi en réaction au capitalisme et de l’avènement d’une propriété absolue. Elle est enfin une promesse : celle d’un renouveau, portée depuis les années 1980 par le logiciel libre et depuis 2009 par les travaux de la Prix Nobel d’économie Elinor Ostrom.
L’idée de « communs » est inséparable du modèle mutualiste de la MAIF, née de l’association d’un petit groupe d’instituteurs qui ont décidé, en 1934 de « mettre en commun ». 90 ans plus tard, MAIF porte toujours une attention sincère à ce qui est partagé, comme en témoigne l’engagement de l’entreprise face à l’enjeu climatique.
La question qui se pose à présent est celle de savoir comment la notion de commun va évoluer à l’avenir, face aux aléas géopolitiques et environnementaux. Les communs seront-ils résilients ? Tentative de projection sur 5 générations.
Demain : La tête dans les communs
Demain, les expérimentations autour des communs ouvriront la voie à une démocratisation du concept, qui fera une entrée fracassante dans l’imaginaire collectif. De Wikipédia aux AMAPs, en passant par l’open source, les communs irriguent déjà nos pratiques sans être nécessairement explicites. Il est temps de mettre un mot sur ces modèles. Pour Valérie Peugeot, prospectiviste au sein du laboratoire de sciences sociales et humaines d’Orange Labs, il est essentiel de faire un travail de pédagogie auprès des « Monsieur Jourdain des communs », qui n’ont pas toujours conscience de participer au mouvement. C’est la condition sine qua non à la naissance d’un phénomène politique et social d’ampleur, qui place l’auto-organisation, la coopération et la gestion collective au cœur de ses principes. C’est également un moyen de faire converger des initiatives et des pratiques qui restent aujourd’hui disparates et dispersées.
À nos enfants : La tentation du repli
Malgré tout, un certain nombre de forces s’opposeront toujours à l’affirmation des communs. La première force d’opposition émane de ceux qui bénéficient le plus du régime de propriété absolue, dont les intérêts s’opposent au développement de nouveaux modèles de coopération et de solidarité. Dans ce contexte, le futur proche des communs est nécessairement une histoire de conflits, dont on perçoit d’ores et déjà des signaux faibles, dans la privatisation des espaces naturels. A la fois anecdotique et éclairante, la fermeture de certains chemins de randonnée en Chartreuse au bénéfice de chasses privées laisse imaginer la nature des conflits à venir, entre fervents défenseurs des communs et propriétaires.
Dans la mesure où leur fonction sociale consiste à préserver les ressources et ce qui compte pour une société, les communs s’inscrivent dans une écologie politique.
Édouard Jourdain – Politologue
De manière plus générale, le durcissement d’une société de plus en plus anxiogène est de nature à favoriser les logiques de repli, peu propices aux grandes actions collectives. Vincent Cocquebert, auteur de La Civilisation du cocon explique ainsi que « beaucoup ressentent le besoin de se lover dans leur propre « safe space », qui n’est plus un espace politique pour mettre en place des leviers vers l’action, mais plutôt un lieu où se couper du monde ».
À nos petits-enfants : Les communs par la base (et par KO)
À plus long terme, les logiques de repli comme les mécaniques de confiscation des biens sont amenées à se heurter à la réalité du monde. Face au dépassement des limites planétaires, la prise en compte des communs s’impose comme une nécessité. « Dans la mesure où leur fonction sociale consiste à préserver les ressources et ce qui compte pour une société, les communs s’inscrivent dans une écologie politique », explique ainsi le politologue Édouard Jourdain.
Dans ce contexte, nous assistons à l’invention d’un nouveau type d’organisation, en mesure de protéger les communs. Cette transformation émane de la base, guidée par ceux dont les idéaux, la vision du monde et parfois même la survie est menacée. A l’image des 301 instituteurs qui se sont réunis pour inventer leur propre modèle mutualiste et se soustraire aux sociétés capitalistes d’assurance, l’entreprise militante de demain résulte de regroupements d’un genre nouveau. Parfois violente, cette transformation donne également lieu à de nouvelles formes de collaborations, dans une lente hybridation du capitalisme. L’idée – proposée par le Réseau Université de la Pluralité – d’une entreprise pensée comme un Syndic de Communs « prenant en charge la gestion de ressources partagées sous la forme de Communs, pour en décharger les membres de la communauté et en garantir l’accès comme la préservation », pourrait alors s’imposer.
À quatre générations : L’entreprise militante face à la corruption des communs
Même installée dans le paysage économique, l’entreprise militante qui émerge alors doit maintenir des équilibres fragiles, qui caractérisent la gouvernance des communs. Le premier risque est celui du « commons washing », qui consiste à afficher un engagement de façade sans transformer les pratiques.
L’émergence de « faux communs » représente également une menace pour l’entreprise militante, qui doit veiller à ne pas assimiler toute pratique collective ou mutualisée à du « commun » au sens noble mais bien à embarquer toutes ses parties prenantes dans un projet politique et social. Les plateformes numériques, qui joueront à l’avenir un rôle central dans l’économie, auront à terme cette capacité à créer les conditions sociales et technologiques du partage, tout en ayant développé des modèles de gouvernance et de rétribution moins extractifs.
À 150 ans : Le mutualisme au coeur d’un kaléidoscope de modèles
Face au risque de corruption, la question des communs conduit comme souvent à celle de leur gouvernance. Dépassant les clivages traditionnels du public et du privé, de la nationalisation ou de la privatisation, cette dernière appelle de nouveaux modèles d’organisation. Or, un monde économique basé sur les communs n’est pas dogmatique, ni rigide, il donne lieu à la naissance d’une myriade de modèles et de modes de gouvernance : à « un million de révolutions tranquilles », pour reprendre le titre de l’ouvrage de Bénédicte Manier.
Dans ce bouillonnement d’initiatives démocratiques et d’expérimentations, le mutualisme s’impose comme une forme stable et efficace de modèle de gouvernance. Dans 150 ans, il ne se distingue plus de l’entreprise traditionnelle, qui en a adopté les grands principes afin de répondre aux enjeux collectifs des années à venir. Après plusieurs siècles de jachère, les communs ont retrouvé un rôle incontournable dans le fonctionnement des sociétés humaines.
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