L’économie repose sur des conventions comptables qui d’ailleurs restent très éloignées du débat public. Pourtant, ces dernières définissent les objets et les valeurs dont nous prenons soin collectivement. Or il semble que les biens communs (air, eau, sols, biodiversité) et les milieux de vie ne soient pas pris en compte dans nos comptabilités. Tout se passe comme si les supports de notre survie étaient négligés, hors des radars des acteurs chargés de donner une image des activités humaines.
 
En interrogeant la véracité du « substituable ou du compensable », la comptabilité apporte une attention à l’analyse de la réversibilité des dérèglements écosystémiques et climatiques. Elle oblige ainsi à se positionner fermement, à assumer les choix politiques qui affectent des valeurs et des priorités aux choses. Dans la perspective d’une transition bioéconomique, il est de fait indispensable de compter et mesurer correctement des matières issues du vivant (pour assurer leur régénération). Oystein Dahle, ancien président d’Exxon pour la Norvège et la mer du Nord, déclarait déjà en 2001 : « Le socialisme s’est effondré parce qu’il n’a pas laissé le marché dire la vérité économique. Le capitalisme peut s’effondrer parce qu’il ne permet pas au marché de dire la vérité écologique. »
 
Il faut donc changer de système. La modernité est remise en question, à commencer par la « religion industrielle », pour reprendre le titre du livre de Pierre Musso, par laquelle sont installés des mythes, depuis les premiers monastères jusqu’au développement du scientisme, qui ont fait croire à un monde parfait et régulier. Or le vivant n’est pas parfait, il est plein de failles et d’inconnues. Il nous faut ainsi « parier sur les possibles du vivant, ses équilibres mais aussi sa puissance, parce qu’il représente notre « assurance-vie » écrit Dorothée Browaeys dans son livre L’Urgence du vivant. Elle poursuit : « Notre époque est confrontée à deux alternatives, deux progrès discordants : profiter des dynamiques du vivant ou bien se fier aux automates. » Si l’on considère que le milieu nous forge et que« nous sommes faits de relations, d’engrangements d’histoires », il nous faut convertir nos boussoles économiques, trouver de nouveaux indicateurs de richesse, de nouveaux modèles d’entreprises, mais aussi de nouvelles comptabilités donnant une image fidèle des impacts des activités humaines.
 

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