Ce milliard versé par Decathlon qui met le feu à la galaxie Mulliez
Dans le Nord, le milliard de Decathlon a allumé un incendie. Le montant des réserves financières que l'enseigne de sport a reconnu verser à son actionnaire, l'Association familiale Mulliez (AFM), fait scandale parmi les dizaines de milliers de salariés de la galaxie qui rassemble, outre Decathlon, Leroy Merlin, Boulanger, Kiabi et Auchan. Il faut dire que quelques jours après l'annonce de 2.400 suppressions de postes chez Auchan, l'opération financière arrive au mauvais moment. « Le momentum n'était pas idéal au niveau médiatique », a reconnu dans « La Voix du Nord » Fabien Derville, le président de Decathlon, bien placé pour traiter le sujet puisqu'il siège aussi au conseil de gérance de l'AFM. « Créer de la valeur » Après avoir rappelé que le milliard provenait des réserves de Decathlon, c'est-à-dire de la part des résultats mis de côté depuis plusieurs années, le dirigeant précise que la somme, distribuée avec l'accord de l'assemblée générale des actionnaires de Decathlon, n'est pas destinée à tomber dans la poche des plus de 800 héritiers Mulliez qui sont rassemblés dans l'AFM. LIRE AUSSI : Decathlon fait sa révolution pour devenir une marque mondiale « L'objectif est de créer de la valeur. Et créer de la valeur, pour nous, c'est créer des emplois, a déclaré Fabien Derville sur le site Internet de 'La Voix du Nord'. Si l'entreprise Decathlon a largement les moyens de suivre son propre développement, sa propre transformation, on est en droit de pouvoir en faire un autre usage au travers des enjeux de l'AFM sur des nouveaux métiers, sur des accélérations d'entreprises qu'on a déjà, sur des accélérations de transformation. Donc, ce n'est évidemment pas de l'argent qui va dans la poche des actionnaires. » Une source proche de l'AFM affirme que « pas un euro n'ira dans la poche des Mulliez ». Renvoi d'ascenseur En gros, Fabien Derville suggère que la bonne santé de Decathlon va financer les activités de l'AFM qui se portent moins bien, comme Auchan, qui a enregistré une perte de 900 millions d'euros au premier semestre 2024. « Par le passé, Auchan, qui était l'entreprise mère, a fait des petits - Michel Leclercq [membre de la famille Mulliez et fondateur de Decathlon, en 1976, NDLR] et Decathlon en sont un exemple » explique-t-il pour justifier une forme de renvoi d'ascenseur. Mais au moment où Auchan taille dans le vif et où Leroy Merlin montre quelques signes de faiblesse dans un marché du bricolage en chute avec une rupture conventionnelle collective portant sur 250 collaborateurs, ce discours est difficilement audible par les dizaines de milliers de salariés de la galaxie Mulliez et leurs représentants syndicaux. Barbara Martin Coppola, la nouvelle directrice générale de Decathlon, voit sa stratégie critiquée en interne.Sébastien Leban/Der Spiegel La CGT-Services appelle à une manifestation ce mercredi matin devant le magasin Auchan de Fontenay-sous-Bois, en banlieue parisienne. « Comment peut-on cautionner que Decathlon, enseigne du groupe, puisse verser une somme pharaonique de dividendes et qu'Auchan, enseigne du même groupe, puisse massacrer la vie de milliers de personnes en supprimant 2.400 emplois ? » a demandé ce syndicat, mardi, dans un communiqué. Grève dans les Decathlon français Plus grave sur le plan commercial, la CFDT de Decathlon appelle à la grève dans les 320 magasins français ce samedi, un jour de pic de ventes avant les fêtes de Noël. Le syndicat se dit « sous le choc » et a estimé que cette somme était « hors-sol », au vu de résultats non atteints. « Toutes les enseignes du groupe Mulliez sont très en colère, c'est honteux », a confirmé auprès de l'AFP le délégué central CFDT chez Auchan France, René Carette. Le malaise est d'autant plus fort que les représentants du personnel d'Auchan entament les négociations avec leur direction sur les modalités de mise en oeuvre du plan social. L'AFM pâtit du fait que ses dirigeants refusent de considérer l'association comme un véritable groupe, ce qui impliquerait que des reclassements soient ouverts automatiquement dans les autres enseignes de la galaxie. LIRE AUSSI : Le plan de Decathlon pour conquérir l'Allemagne ANALYSE - La galaxie Mulliez, ce groupe qui ne veut pas dire son nom Selon nos informations, comme cela avait été le cas lors de la fermeture de magasins de meubles Alinea, l'AFM entend faire jouer la solidarité entre ses chaînes, mais ceci n'est pas exprimé de façon tout à fait officielle. Une source proche d'Auchan répond que l'enseigne fera « le maximum pour faciliter la relation entre ses collaborateurs et les entreprises de l'AFM », « en fonction des zones géographiques, des qualifications et des compétences recherchées ». Une transformation qui crée des frictions Cela suffira-t-il à éteindre la colère des salariés ? Le problème est que les étoiles de la galaxie Mulliez palissent toutes en raison de l'atonie de la consommation en France. Decathlon se porte bien et poursuit une importante expansion internationale, mais selon plusieurs sources, la transformation entamée par la directrice générale Barbara Martin Coppola, venue de chez Ikea, créerait des frictions. La dirigeante a créé un logo pour permettre à Decathlon de rivaliser avec les grandes marques de sport comme Nike et Adidas, rationalisé le nombre de marques propres de l'enseigne et réorganisé les magasins. Selon un « observateur de l'AFM » critique de la gestion de Barbara Martin Coppola et cité dans un autre article du quotidien nordiste, « en termes de business, [l'enseigne] a été dépositionnée : ils ont trop augmenté les prix, arrêté d'investir dans les magasins qui sont le coeur de l'activité », avec un effet sur l'implication des salariés. LIRE AUSSI : Restructuration chez Auchan : les quatre points faibles du géant de la distribution Réagissant auprès des « Echos » aux propos du président de Decathlon, Sébastien Chauvin, de la CFDT, dénonce ce qu'il estime être « une formule démagogique : si les actionnaires réinvestissent cet argent, c'est bien qu'il va dans leurs poches, contrairement à ce qu'il dit ». Ce dernier estime par ailleurs qu'il n'est pas exact de dire que Decathlon fait de la croissance. « Decathlon fait moins de résultat que l'année dernière, tout en diminuant à la fois les mètres carrés et les effectifs, qui ont perdu mille équivalents temps complets par non-renouvellement des départs… ce n'est pas ce qu'on peut appeler de la croissance. » De même, précise-t-il, qu'en termes d'activité, l'enseigne peine comme toute la grande distribution, avec un chiffre d'affaires qui accuse une baisse de 1 % en France sur l'année à ce jour. « On est loin des objectifs », conclut-il. La direction assure à l'inverse de la bonne santé de Decathlon, qui conserve, selon elle, les moyens d'investir au moins 2,5 milliards d'euros dans les années à venir. Selon nos informations, certains reprocheraient aussi à la directrice générale d'avoir procédé à un trop grand nombre de recrutements externes. Chez les Mulliez, l'esprit de famille et la promotion interne sont des valeurs cardinales. Aides publiques Les syndicats s'interrogent, en outre, sur le bien-fondé de certaines aides publiques à destination des entreprises, la CFDT appelant à la création d'une commission d'enquête « afin de pouvoir réellement comprendre à quoi l'argent public a été utilisé » par les différentes enseignes de l'AFM. LIRE AUSSI : Galaxie Mulliez : Barthélémy Guislain organise le renouvellement des générations Le Premier ministre lui-même, Michel Barnier, avait dit vouloir « savoir » ce qu'Auchan et un autre groupe prévoyant des suppressions d'emplois, Michelin, « ont fait de l'argent public qu'on leur a donné ». Un sujet « encore en cours d'instruction », disait le cabinet du ministre de l'Economie, Antoine Armand, mi-novembre. Auchan avait alors assuré que sa réduction de charges annuelle au titre du CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi), de 83 millions d'euros entre 2013 et 2018, avait été « intégralement utilisée pour les objectifs ciblés par ce dispositif », ajoutant avoir « payé 258 millions d'impôts et de taxes (hors taxes collectées : TVA, taxes sur les alcools, TICPE) et 607 millions d'euros de charges sociales pour la part patronale ».