Le point commun entre les notions de glamping, de bleisure ou de workation ? Des concepts hybrides qui inondent le secteur du tourisme. À travers la figure du centaure, Gabrielle Halpern, docteure en philosophie précise que cet être hybride ne répondra pas à la manière d’un humain, ni d’un cheval mais avec la personnalité d’un centaure. Qu’en est-il de ces nouvelles pratiques touristiques à mi-chemin entre deux concepts ? Nous verrons dans cette chronique comment les offres hybrides se multiplient pour reconfigurer le secteur

Le secteur touristique s’est construit sur un assemblage de prestations. Lorsque Thomas Cook propose en 1841 ses premiers voyages, c’est pour « mettre le chemin de fer au service de la lutte contre l’alcoolisme en menant les ouvriers anglais à la campagne » (Boyer, 1996). Il assemble une offre de transport et une offre de visite tout en basculant le profil de l’ouvrier à celui du touriste. Par la suite, le positionnement de l’offre s’est construit par juxtaposition des activités du tourisme (déplacement, nuitée) avec des motivations (scientifique, culturelle, gastronomique) ou des pratiques (sportive, itinérante, balnéaire). Ainsi, loger chez l’habitant fusionne le quotidien de l’hôte avec la nuitée et le petit-déjeuner des voyageurs ; l’agritourisme cumule l’activité journalière des producteurs avec la découverte d’animations rurales pour les amateurs ; et le tourisme régénératif co-construit une vision durable et collaborative du secteur. Dans ce sens, les offres se croisent et jouent avec les positionnements pour multiplier et réinventer les expériences touristiques.

Rencontre des pratiques ou hybridation des concepts
Les concepts hybrides n’ont cessé d’apparaître pour révéler des tendances et caractériser des dynamiques marginales, surprenantes ou insolites. Le plus populaire reste l’émergence du Glamping (glamour + camping) qui réinvente les espaces d’hébergements avec le paradoxe du confort et du lieu atypique (roulotte, tipi, bus, etc.). Pour les voyageurs professionnels, c’est la tendance du Bleisure qui se démarque (business + leisure) en profitant de ses déplacements pour visiter les destinations. La crise sanitaire remet en question l’intérêt et l’importance réelle de ces voyages d’affaires mais accélère aussi l’émergence de nouveaux concepts : le Workation (work + vacation) soit travailler en voyageant, ou le Staycation (stay + vacation) pour revisiter les destinations de proximité. Ainsi les pratiques se fondent et l’hybridation est devenue un moyen de valoriser de nouveaux comportements, en marge des pratiques habituelles tout en restant parfaitement en accord avec le désir d’individualité et d’originalité du voyageur contemporain.

Le Bleisure, hybridation entre « business » et « leisure »

Des offres hybrides pour recomposer le secteur
La plupart des composantes du secteur sont concernées par cette hybridation. Présentées ici par domaines d’activités, les initiatives n’hésitent pas à fusionner les offres d’hébergements avec celles de loisirs tout en incluant des gouvernances agiles et innovantes.

Hébergements : Thierry Maillet identifie quatre vagues d’hybridations dans le secteur hôtelier. D’abord dans les années 1990 lorsque des résidences de tourisme (longue durées) ont cumulé une activité d’hôtellerie (courte durée) avec des services hôteliers (séminaires, spas, etc.). Ensuite avec l’arrivée de hôtels lifestyle. Puis avec un délitement des frontières entre hôtels et auberges de jeunesse et enfin avec une dernière vague, associée au coliving et au coworking. À travers le livre de tendances « Hybrides» proposé par les étudiants de l’IEFT (2021), c’est l’identité qui est questionnée dans sa capacité à pouvoir construire des passerelles entre des expériences immersives et une offre traditionnelle d’hébergement. « Les désirs et préoccupations des touristes évoluent, d’un simple attrait pour la mode, à des réflexions plus engagées autour de la cause animale ou du respect des destinations visitées. Il faut repenser les modèles, se diversifier et sortir d’une simple offre d’hébergement ».

Transports : Ainsi, les lieux comme les gare se réinventent avec des changements de vocations qui tendent vers la multifonctionnalité : hôtel, galerie d’art, bureaux, etc. (Bellerose, 2016). Dans les transports, la notion d’hybride se caractérise surtout par une volonté de réduire l’impact environnemental causé par l’avion ou le train. Pour Gabrielle Halpern, une voiture hybride n’est qu’un assemblage de deux moteurs alternatifs mais ne peut pas être caractérisé réellement d’hybride. Pour l’être, la mobilité doit se réinventer à la manière de l’Hyperloop, de la voiture multifonction ou en questionnant les déplacements pour développer les transports de demain .
Espaces : Aujourd’hui les frontières des espaces physiques et virtuels sont imbriquées (Neuburger & al, 2018). La perception d’une destination dépend de sa viralité sur les réseaux sociaux plus que des frontières administratives qui l’enferment. L’expérience touristique devient phygital (physique + digital) et reconfigure l’espace touristique selon la vision du voyageur et à travers sa représentation virtuelle. C’est cette même notion qui semble constituer l’horizon du secteur évènementiel. Bien que les rassemblements physiques restent essentiels pour rapprocher les acteurs, le digital se positionne comme un complément d’activité qui suppose une évolution des évènements traditionnels.
Gouvernance : la gouvernance du tourisme traduit la manière dont est gérée l’activité sur les destinations. Les organismes institutionnels ne sont pas les seuls concernés puisqu’elle implique toutes les parties prenantes de la destination. Les secteurs se rencontrent (partenariat public-privé) et les dynamiques s’intensifient (incubateurs, tiers lieux, etc.). Cette gouvernance devient aussi hybride avec le développement des clusters qui tentent de valoriser un patrimoine touristique en mettant en réseau les acteurs qu’ils soient publics, privés, académiques, résidents, touristiques ou non (Fabry & Zeghni, 2013). En parallèle, le tourisme devient transversal et les institutions du tourisme disparaissent au profit d’agences d’attractivités plus globales. Ainsi les organismes fusionnent et se réinventent pour questionner la meilleure façon de concevoir l’activité touristique. Pour Wan & Bramwell (2015), cette recherche d’hybridité dans les rapports entre acteurs reste essentielle pour contribuer au développement d’une stratégie efficace et efficiente.
Une hybridation pour un renouvellement de l’offre
Pour véritablement concevoir une société hybride, il faut repenser les lieux de manière multi-usage, multi-service et multi-générationnelle (Halpern, Be Smart, 2020). Les Jeux Olympiques montrent bien les limites d’un développement ponctuel des activités et des méfaits causés pour les environnements, pour l’économie et pour la pérennité des structures. De même, l’exemple du surtourisme montre à quel point l’inclusion des habitants est essentielle pour le développement d’une destination équilibrée. L’hybridation du tourisme se révèlera donc par la jointure des actions réellement bénéfiques pour les habitants, les résidents et les destinations. En construisant des nouveaux concepts, c’est concevoir le secteur en dehors des silos et proposer un renouvellement constant des offres touristiques.

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