Un abonnement pour chaque poste de consommation

Car si l’économie de l’abonnement prospère aussi bien, c’est parce qu’il est terriblement facile de souscrire à une quelconque box de kits repas ou à une énième plateforme de SVOD mais qu’il est curieusement bien plus difficile de s’en désabonner. Les investisseurs mondiaux en capital-risque, qui ont porté cette pénétration de la logique de l’abonnement bien au-delà des secteurs traditionnels – c’est bien simple, il existe désormais une offre d’abonnement pour à peu près tous les postes de consommation – l’ont fort bien compris. Si le modèle a tellement prospéré, c’est également parce qu’il remplissait une condition essentielle pour les marchés, en partie liée à la première : il promettait un flux constant de revenus. Dans le langage économique, il cochait la case « RMR », soit « Revenu Mensuel Récurrent » – le graal pour n’importe quel investisseur.

À l’heure actuelle, le marché de l’abonnement pèse pour plus de 200 milliards de dollars. Aux Etats-Unis, la dépense moyenne par consommateur s’élève à 237 dollars par mois pour des abonnements, contre « seulement » 130 dollars par personne en Europe, au point que les investisseurs les plus optimistes tablent sur le franchissement symbolique des 500 milliards de dollars en 2025.

Mais c’est mettre de côté un détail qui a tout de même de son importance : l’inflation mondiale et la récession qui guette. Les investisseurs se rassurent en comptant sur les mécanismes de « fidélisation » – pour ne pas dire de « dépendance » – solides mis en place par des acteurs historiques de l’abonnement tels que Netflix ou Amazon Prime. C’est oublier un second détail tout aussi important : un infléchissement dans la perception de notre rapport à l’abonnement, fort bien perçu par Helen Thomas. Dans une remarquable chronique pour le Financial Times, la journaliste affirme que nous aurions dépassé « l’ âge d’or » de l’économie de l’abonnement, celui qui conférait un « aspect technologique superficiel » à des entreprises qui, finalement, je cite « étaient soumises aux mêmes pressions en matière de prix, de qualité et de caprices des clients que n’importe quelle autre entreprise de biens de consommation. » De fait, comme de nombreux Français soumis à une baisse subite de leur pouvoir d’achat, j’ai récemment activé le mode Marie Kondo en matière de gestion de mes comptes, tentant d’évaluer ce qui relevait du superflu ou de l’essentiel dans mes dépenses. Autant vous dire que mon abonnement mensuel à une box de collants dont l’espérance de vie ne dépasse pas les trois jours a vite été cataloguée comme « non essentiel ».

L’économie de l’abonnement n’aura finalement été que le dernier avatar du capitalisme pour hameçonner le consommateur avec l’assurance que sa pulsion d’achat soit récurrente, jamais remise en question ou, lorsqu’elle l’était, éteinte par d’innombrables mécanismes de friction

Même les mastodontes sont en train de trembler. Face à la diversification de l’offre de plateformes de SVOD, Netflix, qui avait pourtant prêté son nom à cette nouvelle ère économique, a vu son nombre d’abonnés diminuer pour la première fois de son histoire en avril 2022, au point que la plateforme envisage désormais d’avoir recours à des annonceurs publicitaires ainsi qu’à une formule low cost. Tout un symbole. Si la perte de pouvoir d’achat est la première raison qui pousse actuellement des centaines de milliers de personnes à écrémer leurs comptes, le contexte macroéconomique est aussi l’occasion de rendre visible ce que l’économie de l’abonnement tenait évidemment à invisibiliser, à commencer par l’empreinte carbone désastreuse qu’impliquent les « avantages » fournis par les champions de l’économie de l’abonnement type Amazon Prime. Le géant américain de la vente en ligne justifie l’augmentation du prix de son abonnement de 43 % en France par une « augmentation des frais d’expédition », notamment avec la hausse des prix du carburant, de l’énergie ou encore des « frais d’emballage », autant d’indicateurs qui nous rappellent au passage ce que la fonction « achat en un clic » tenait à nous faire oublier : le coût écologique de la livraison en temps records qui a fait le succès de la plateforme. L’empreinte carbone de l’entreprise aurait même augmenté de 40 % en 2021 par rapport à 2019. On arrête pas le progrès en marche.

L’inflation aura au moins eu comme avantage de lever ce mirage technophile sur lequel reposait l’économie de l’abonnement. Cette dernière n’aura finalement été que le dernier avatar extrêmement énergivore du capitalisme pour hameçonner le consommateur avec l’assurance que sa pulsion d’achat soit récurrente, jamais remise en question ou, lorsqu’elle l’était, éteinte par d’innombrables mécanismes de friction rendant la suspension d’un abonnement quasi irréalisable. Preuve que cette économie est de plus en plus remise en question, les régulateurs s’attèlent progressivement à ce dernier chantier : il y a un mois, à la suite de plaintes déposées par plusieurs associations de consommateurs, la Commission européenne a indiqué qu’Amazon devra désormais faciliter la résiliation de son abonnement de livraison rapide Prime au sein de l’Union européenne. 

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