On accède au Mené, commune de 6.400 habitants au coeur des Côtes-d’Armor, par des routes sinueuses de campagne, entre arbres et champs. Au loin, on aperçoit des éoliennes. Sur quelques toits, des panneaux solaires. De simples installations qui permettront de produire autant d’électricité et de chaleur que n’en consomme ce territoire rural.
« Le Mené est engagé sur les questions énergétiques depuis les années 1990. C’est une démarche des élus et surtout de la société civile », expose Marion Delaporte, du service développement durable de la ville.
Le premier projet voit le jour en 1998 : trente éleveurs porcins décident de mettre en place un méthaniseur, une cuve qui transforme les effluents et les résidus de l’abattoir en électricité et chaleur. 
Ils se rendent au Luxembourg et au Danemark pour s’inspirer de leurs méthodes, puis reviennent réaliser des études, monter le financement, et le méthaniseur devient actif en 2011… jusqu’à son incendie en 2019. Il est aujourd’hui en réparation.

Le réseau pas l’autoconsommation
Créer ses ressources en énergie – expérimenter, tâtonner, se tromper – prend du temps. L’idée de produire totalement sur place sa propre chaleur, par exemple, a fait long feu : les chaudières bois tombaient régulièrement en panne, car le bois local était trop filandreux. La commune s’approvisionne désormais en Normandie.

Un succès : les sept éoliennes qui permettent de délivrer 14.000 mWh (mégawattheure) par an, de quoi couvrir la consommation de 5.200 habitants. Le tiers de leur capital est détenu par plus d’une centaine d’habitants. Un deuxième parc éolien participatif est en cours de construction avec la commune voisine. « Avec celui-là, on aura atteint l’autonomie énergétique. On produira autant que l’on consomme. »

Le paysage très déséquilibré de l’énergie éolienne en France

Mais pas d’autoconsommation : toute l’électricité produite par le méthaniseur, les éoliennes et les panneaux solaires municipaux est vendue sur le réseau, pour des questions de gestion : la salle des fêtes produit plus d’électricité qu’elle n’en consomme. Idem pour l’école qui est fermée l’été, au moment où les panneaux solaires sont les plus performants.
Le reste de l’année, elle a besoin d’un apport extérieur de chaleur, comme les logements de la commune équipés de panneaux solaires thermiques insuffisants pour l’hiver. La solution trouvée pour une autonomie complète : rénover les bâtiments pour qu’ils ne laissent s’échapper la chaleur. « L’énergie la plus propre est celle qu’on ne consomme pas », devise Marion Delaporte.

Efficacité énergétique et surtout sobriété
La commune de Malaunay (6.000 habitants), dans la métropole de Rouen (Seine-Maritime), a chiffré que la rénovation de son gymnase a généré 60 % d’économie d’énergie sur ce bâtiment. Elle a également baissé la surface de bâtiment de ses services municipaux, en optimisant leur occupation.
Elle peut alors se flatter d’être passée de 275.000 € de facture énergétique (carburant, gaz et électricité) en 2006 à 237.000 € en 2019, alors qu’elle aurait dû s’élever à 517 000 €, en tenant compte des augmentations du coût des différentes énergies, selon ses calculs.
Pour réduire la facture des foyers, elle a monté un service d’accompagnement à la maîtrise de l’énergie : « On informe les habitants sur les travaux qu’ils peuvent réaliser, on cherche des artisans, on suit les travaux », schématise Guillaume Coutey, maire de la commune depuis 2012.
Et Malaunay produit sa propre énergie. Trois chaufferies en biomasse (alimentées par des matières végétales) couvrent 65 % des besoins de la municipalité en chaleur et alimentent notamment la piscine.
Certains bâtiments municipaux récupèrent l’eau de pluie, et tous sont couverts de panneaux solaires, 1.600 m2 au total. Le premier a été posé en 2017 sur l’église. « Des panneaux photovoltaïques sur une église, ça interpelle les gens », commente le maire, qui a ensuite proposé aux Malaunaysiens de financer une partie des panneaux solaires de l’école.
« On a choisi l’école pour que ça puisse parler aux habitants, puis on a rémunéré les investisseurs mieux que le livret A de l’époque. Ça a coûté plus cher à la ville qu’un emprunt bancaire, mais cela a permis de sensibiliser les citoyens aux enjeux environnementaux. »
Pour atteindre l’autosuffisance électrique, il est maintenant question d’ajouter 25.000 m2 de panneaux solaires sur le terrain de deux entreprises privées. « Si, demain, les entreprises sont concernées par des coupures de courant, elles ont leur propre électricité. Et le surplus d’électricité produite serait revendu à la ville par exemple », se projette le maire, lancé dans une belle dynamique. « Avec le temps, on a réussi à mobiliser des bailleurs, des entreprises, pour avancer sur l’efficacité et la sobriété énergétique, se félicite-t-il. Je reçois des visites d’élus d’autres villes, des étudiants en architecture qui s’inspirent de nos méthodes. »

Le péage qui hérisse
Reste à interpeller l’Etat pour faire évoluer certaines réglementations, comme cette obligation de payer Enedis, gestionnaire du réseau de distribution d’électricité, lorsque la commune transfère de l’électricité d’un bâtiment équipé de panneaux solaires à un autre. « La ville produit son électricité, elle passe par un réseau qui lui appartient, mais elle doit passer par un péage ! », proteste Guillaume Coutey.
« Les contraintes réglementaires nous empêchent d’acheter l’électricité produite localement », rejoint Patrick Sabin, maire d’Escource (Landes), qui souhaiterait créer une économie circulaire et ne pas être tributaire du marché de l’électricité. Pour s’extraire de celui du gaz et du fioul, la commune chauffe ses bâtiments publics avec le bois de forêt qu’elle gère elle-même. « On a quasiment divisé par quatre notre facture de chauffage », indique l’édile. Presque 300 lampadaires fonctionnent grâce à leur propre capteur solaire. 
Et le vice-président chargé de la transition écologique dans sa communauté de communes « Coeur Haute Lande » travaille actuellement à recenser les foyers intéressés par l’installation de panneaux solaires sur le toit. « On va lancer des marchés groupés pour avoir des prix intéressants, repérer les entreprises fiables, suivre les travaux, voire aider au financement », décline-t-il.

Rénovation thermique
Pour les aider à faire baisser leur facture de chauffage, la communauté de communes a monté, avec ses voisines, un service gratuit d’accompagnement des ménages à la rénovation thermique de leur logement. « En quatre ans ont été réalisés 2,5 millions d’euros de travaux, dont 1,5 million de subventions, qui ont permis de diminuer en moyenne la facture d’énergie des habitants concernés de 800 euros. »
A Montdidier, commune de 6.000 habitants dans la Somme, les habitants se voient directement reverser les bénéfices du parc éolien public par chèques de 75 euros, à dépenser dans les commerces locaux, sauf en grande distribution. Les atouts du territoire : de l’espace et du vent pour ces éoliennes, une entreprise locale de redistribution de l’électricité, un réseau de chaleur par bois…

Après l’installation de panneaux solaires thermiques, la maire, Catherine Quignon, table sur une indépendance énergétique en 2026. Elle avait fixé cet objectif à 2020 lors de son premier mandat, mais il a été retardé par sa défaite lors des municipales en 2014, explique-t-elle.

Les habitants à la manoeuvre
Pour ne pas dépendre des politiques, des habitants prennent aussi l’initiative de leur souveraineté énergétique. C’est le cas à Béganne (Morbihan), qui a vu naître, en 2014, le premier parc éolien français financé à l’initiative de citoyens. Ces 700 actionnaires ont chacun dégagé entre 500 euros et 50.000 euros pour rassembler 2,4 millions, complétés par 500.000 euros du fonds national citoyens Energie partagée. Les conseils départemental et régional et la Banque publique d’investissement (BPI) apportent leur pierre à l’édifice.
Les motivations sont tant écologiques qu’économiques : chaque année, les actionnaires perçoivent, en moyenne, 4 % du capital investi en dividendes. Et une personne qui produit son énergie est plus sensible à son gaspillage, estime Loïc Jouët, membre du bureau de l’association Energies citoyennes en Pays de Vilaine. « Un citoyen qui a mis des panneaux solaires sur sa maison fait souvent plus attention à sa consommation. Il faut essayer de connecter au maximum l’habitant avec la production collective locale pour qu’il adapte sa consommation. »
Les quatre éoliennes produisent autour de 18.500 mWh/an, ce qui permet de couvrir la consommation de 6.000 habitants. Beganne en compte… 1.400 et préfère vendre cette électricité sur le marché plutôt que de fonctionner en circuit fermé, comme l’explique Loïc Jouët, qui a été président de ce parc éolien. « Ce n’est pas confortable de faire des microcoopératives sur de petites agglomérations, précise-t-il, car l’énergie éolienne ou solaire est trop fluctuante, on a besoin du réseau d’électricité national. On ne vise pas l’autarcie. » Une éolienne ne tourne en moyenne qu’à 25 % de sa capacité maximale de production.

Un chantier plus complexe pour les grandes villes
Pour bien fonctionner, un territoire reste dépendant de ressources extérieures. « C’est surtout le cas des grandes villes. L’autonomie énergétique est beaucoup plus difficile à atteindre à l’échelle d’une métropole, qui a intérêt à faire des échanges avec des territoires plus ruraux comme Le Mené, où il y a du foncier disponible pour avoir de l’éolien », observe Auréline Doreau, responsable de projets Energie et Territoires au Cler, une association qui promeut la transition énergétique.
Elle souligne l’atout des petites villes à bien connaître les différents acteurs de leur territoire, ce qui permet de monter des projets plus rapidement. Et l’importance d’avoir une vision systémique : favoriser le réemploi des matériaux, restructurer la filière alimentaire, favoriser les transports cyclables, développer des programmes massifs de rénovation des bâtiments…
Rouen lance, par exemple, une rénovation globale – qui ne consiste pas seulement à changer un toit ou une pompe à chaleur – de 25.100 logements privés d’ici 2030 et de 419 bâtiments tertiaires publics.

Un millefeuille de subventions
Aides du département, de la région, de l’Etat, de l’Europe… « Il y a plein d’appels à projet pour mettre en oeuvre des politiques publiques d’efficacité énergétique », s’enthousiasme Auréline Doreau.
Problème : « Les candidatures demandent du temps. Ce sont les villes déjà avancées sur le sujet qui repèrent les manifestations d’intérêt et les labellisations. Ces aides publiques gagneraient à être plus visibles et à voir leur accès simplifié », souligne-t-elle.
Et de réclamer plus de moyens : « Des projets offrent des subventions pour recruter un chargé d’énergie sur trois ans, mais il faut au moins dix ans pour stabiliser une politique et la mettre en oeuvre ! » Pour faire des économies, il faut encore dépenser pas mal d’énergies.

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