Les conflits géopolitiques, la crise sanitaire et le dérèglement climatique, en limitant les échanges et en accentuant les risques de pénurie, mettent en évidence la vulnérabilité des systèmes d’approvisionnement. D’où l’enjeu pour la France d’accroître sa souveraineté alimentaire. D’autant que le pays a accru sa dépendance aux importations ces dernières années. « 40 % de notre verger a disparu en vingt ans, alerte Dominique Chargé, président de la Coopération agricole. Alors que nous étions autosuffisants en tomates dans les années 2000, nous ne produisons plus que 30 % de notre consommation.  » Sans compter l’alimentation animale : pour ses élevages, la France importe 70 % du soja et du colza qu’elle consomme. Au total, environ 20 % de l’alimentation française est importée, dont près de la moitié des fruits et légumes.

Un manque de compétitivité  
« En Europe, il n’y a plus de frontières. Sauf qu’en France, la main-d’œuvre est plus chère que dans de nombreux pays. Donc nous ne sommes plus compétitifs », précise Henri Biès Péré, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), qui a vu de nombreux abricotiers et pêchers arrachés dans le Sud-Ouest. Certains aliments, produits localement, seraient d’ailleurs exportés puis importés, à plus bas coût. « C’est le paradoxe : on exporte du poulet de qualité et on en importe du bas de gamme parce qu’on a interdit ici certaines méthodes d’élevage et que le consommateur demande des produits à bas coût », souligne le vice-président de la FNSEA.

Pour devenir plus souverain en matière d’alimentation, le gouvernement a alloué 1,2 milliard d’euros au volet agricole en 2021, via le plan de relance. Des aides en partie renouvelées cette année. Plusieurs entreprises se lancent également dans la création de nouvelles filières pour limiter les importations. C’est le cas de la société Biogroupe (52 salariés), fabricante d’une boisson fermentée à base de thé en Bretagne, le kombucha. Alors qu’elle importe sa matière première d’Inde, de Chine ou du Sri Lanka, elle s’est lancée en 2021 le défi de produire son propre thé bio. « Nous avons planté 2 500 plants l’an dernier et nous allons en planter deux fois plus cette année », précise Laurent Coulloumme-Labarthe, le dirigeant, qui espère être indépendant d’ici quatre ans.

En région nantaise, la société de 15 salariés, Lisaqua s’est également lancée dans l’élevage de crevettes sans antibiotiques pour se détacher des crustacés venus de Madagascar. Mais les quantités restent faibles. « Ce sont des cultures anecdotiques », tempère Henri Biès Péré, vice-président de la FNSEA.

Relancer les légumineuses et les oléagineux
Certaines pourraient toutefois avoir plus de poids. La coopérative agricole Terrena (14 000 salariés) s’associe à d’autres puissants acteurs de l’agroalimentaire pour relancer les cultures de légumineuses à graines. Des protéines végétales qui font office de substitut à la viande et permettent de gagner en autonomie tout en limitant les conséquences du dérèglement climatique. Car l’agriculture – avec en premier lieu l’élevage intensif – est responsable de près d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre mondiales.

« Petit à petit, on va regagner des hectares. Sur les produits de première nécessité, nous pouvons être souverains. »
Henri Biès Péré, vice-président de la FNSEA

Le groupe agroalimentaire ne s’arrête d’ailleurs pas là. Il vient de se rapprocher de l’agroindustriel Avril pour relancer une filière d’huile française. « On a laissé partir les cultures d’oléagineux sans que la politique agricole européenne n’y prête vraiment attention, estime le vice-président de la FNSEA. Petit à petit, on va regagner des hectares. Sur les produits de première nécessité, nous pouvons être souverains. »

Toutefois, certains freins restent difficiles à lever. Pour Christian Guyader, la principale difficulté, c’est l’acte d’achat. Le dirigeant de l’entreprise bretonne de charcuterie Guyader Gastronomie tente de relancer la filière de cornichons en Bretagne. Ce condiment, importé principalement d’Inde, apprécie l’humidité et le climat breton, mais il a disparu des terres agricoles régionales depuis 1990. La première récolte de la société a eu lieu en 2021. « Commercialement, ça n’a pas été un succès », regrette le dirigeant. Notamment parce que le prix était cinq fois plus élevé que celui du cornichon indien.

« Il y a un enjeu d’éducation. L’alimentation a un coût. Aujourd’hui, elle sert trop souvent de variable d’ajustement dans le budget des ménages »
Dominique Chargé, président de la Coopération agricole

Pour les acteurs, il faudrait que cette perte de compétitivité soit compensée par des aides publiques, « afin de ne pas tuer le producteur. Mais il y a aussi un enjeu d’éducation. L’alimentation a un coût. Aujourd’hui, elle sert trop souvent de variable d’ajustement dans le budget des ménages », estime Dominique Chargé, président de la Coopération agricole. 

Dans un contexte de forte inflation, le budget alimentation est particulièrement rogné par une partie des Français. C’est en tout cas le constat que fait Noémie Le Heurte, de la ferme des 1001 pattes : « Le contexte de sortie de crise sanitaire, où la tendance était au manger local et bio, est loin, assure l’éleveuse. On sent bien que les consommateurs portent une attention particulière au coût de la nourriture et que le local a moins le vent en poupe. » 

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