« Pour moi, demander à quelqu’un combien il gagne, c’est presque aussi annexe que de lui demander sa pointure de chaussure », lance Fares Khaldi, 23 ans, commercial chez Aello Piscines, une société qui pratique la transparence totale des salaires. Mais le jeune homme a bien conscience que tout le monde n’aborde pas le sujet avant autant de facilité : « avec des personnes externes à l’entreprise, c’est plus compliqué, voire quasiment impossible », lâche-t-il.

« Mes beaux-parents, je n’ai jamais su combien ils gagnaient quand ils étaient en emploi, ils n’ont jamais osé donner un montant », confirme sa collègue, Magnolia Vallon. A 28 ans, cette employée administrative assure n’avoir « aucun tabou là-dessus ». « J’en parle facilement avec ma famille et mes amis, mais les personnes plus âgées ont plus de mal avec ça, ils ne sont pas habitués. Pour eux, cela ne regarde qu’eux », poursuit-elle.

Comme Magnolia et Fares, plusieurs observateurs constatent une évolution des mentalités sur ce sujet. Selon une étude réalisée par le site de recherche d’emploi Monster France en septembre 2022, 62 % des 18 – 34 ans se disent « à l’aise » pour parler de leur salaire avec leurs proches, contre 42 % des plus de 50 ans.

Parler de ses revenus a longtemps été considéré comme tabou en France. « C’est une espèce de conditionnement qui remonte à assez loin », recontextualise Janine Mossuz-Lavau, sociologue, auteure de « L’argent et nous ». « A quelques générations près, nous venons presque tous du monde paysan. A cette époque, on gardait l’argent à la maison donc il ne fallait pas en parler, cela pouvait susciter des jalousies et, surtout, on pouvait venir vous voler », raconte-t-elle. « Il y a aussi le poids de la culture catholique : si on avait de l’argent il fallait aider les pauvres donc il valait mieux ne pas le dire. Et puis, pour une partie de la population, il y a eu aussi les idées marxistes : les gens n’ont retenu qu’une seule chose, le profit c’est mal », poursuit la chercheuse.

Une valeur moins liée au salaire
Aujourd’hui, cet héritage commence à disparaître. « Ça s’estompe avec le temps et c’est un petit peu moins prégnant chez les jeunes », analyse Janine Mossuz-Lavau. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène. « On est passés d’une génération qui était prête à tout sacrifier au travail à une génération qui estime que son travail a une valeur, et que ce n’est pas discutable », observe Guillaume Robin, le PDG du groupe Thermador.

Les moins de 35 ans sont aussi plus nombreux à rechercher du sens dans leur travail. « Leur valeur n’est donc pas liée à ce qu’ils gagnent mais à l’intérêt de ce qu’ils créent, à ce qu’ils sont comme personne et pas à ce qu’il y a sur leur compte en banque », explique Janine Mossuz-Lavau. A l’inverse, les plus âgés ont davantage tendance à se définir par rapport à leur travail. Admettre qu’on touche une rémunération faible, « cela peut être dévalorisant », analyse la sociologue.

Ils n’ont aucun tabou sur la rémunération, ils sont cash

Guillaume robin PDG de Thermador

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