Un an après la faillite de FTX et un mois après la condamnation de son fondateur Sam Bankman-Fried (SBF), rebaptisé « Sam Bankman-Fraud » par la presse américaine, le monde des cryptos cherche à sortir par le haut d’une des pires crises de son histoire. Ce ne sera pas pour tout de suite. Changpeng Zhao (CZ), le patron de la plus grande plateforme d’achat et vente de cryptos, Binance, vient de démissionner et son groupe de s’acquitter d’une somme historique, 4,3 milliards de dollars , dans le cadre d’un accord avec la justice américaine. La veille, c’était la crypto-Bourse Kraken qui était épinglée par le régulateur des marchés américains.

Depuis un an, les autorités américaines ont exposé au grand jour les frasques et les dérives spéculatives et frauduleuses de tout un secteur (hedge fund, firmes de trading, plateformes, cryptobanques…). Ce système financier alternatif s’est avéré bien plus fragile, imbriqué et concentré que les investisseurs ne l’imaginaient. Un cartel d’une cinquantaine de firmes se prêtait mutuellement de l’argent ou se portait contrepartie sur le marché. Au centre du jeu et de l’attention, le roi SBF, à l’apogée de sa gloire, distribuait les bons et mauvais points. 
Les investisseurs espèrent que le rebond des cours, entamé en 2023, va se poursuivre dans un environnement plus sain, débarrassé de ses éléments problématiques. SBF cochait pourtant toutes les cases du bon élève, « rêve américain » dans le capitalisme financier des Etats-Unis qui a besoin de figures pour incarner son idéal de réussite.

L’effondrement de FTX sonne la fin du Woodstock des cryptos
La crise de 2022 a fait voler en éclat la fragile unité de la coterie des cryptos. Ses membres se sont traînés en justice, accusés de tous les maux et rejetés les responsabilités. Entre faillites, fusions et plaintes, peu de groupes ont échappé à l’« opération mains propres » de la justice américaine. Le secteur ne peut plus compter sur son VRP de luxe, SBF, pour défendre sa cause en haut lieu. Avant d’atterrir en prison, il avait dépensé des sommes considérables en publicités et lobbying politique. Un tiers du Congrès américain , démocrate et républicain, avait reçu des dons de campagnes.
Cet argent n’a pas seulement profité à son groupe. Il a contribué à la démocratisation des cryptos (avec, par exemple, des publicités lors du Super Bowl) et à l’amélioration de leur image dans la classe politique et l’establishment. Avant sa chute, SBF était bien vu tant à Washington qu’à Wall Street. Son objectif était d’obtenir un cadre réglementaire moins contraignant. C’est l’inverse qui risque de se produire aux Etats-Unis, marché qui donne le ton à la planète crypto. 
Au pouvoir, le camp démocrate, après avoir bénéficié des largesses financières de SBF, est devenu amnésique et un opposant farouche au bitcoin, décrit comme la devise du vice (terrorisme, trafics…) ou comme un actif insignifiant et inutile. Pour les républicains, qui tentent d’exploiter politiquement le scandale, le bitcoin est au contraire un instrument d’émancipation financière à l’égard de l’Etat fédéral : comme les armes à feu sont un rempart contre le risque de tyrannie, le bitcoin serait une assurance contre l’intrusion de la Réserve fédérale (Fed) dans la vie des citoyens.

« Sang neuf »
La tempête FTX et les faillites en chaîne successives ont fait des victimes dans tous les milieux. SBF a ruiné les espoirs de fortune de nombreux novices, assénant un sacré coup à la démocratisation de l’investissement sur le bitcoin et les cryptos. Lancée en 2017 par les acteurs des cryptos, elle compte désormais sur les initiatives des gérants de Wall Street comme le géant BlackRock. Ils ont déposé auprès du gendarme boursier, la SEC, des demandes de lancement d’ETF sur le bitcoin (des fonds cotés en Bourse qui suivent la valeur de la crypto) pouvant ouvrir davantage les portes de cette nouvelle classe d’actifs aux institutionnels et aux petits porteurs américains, qui ne font pas confiance aux plateformes (piratages et vols de bitcoins, malversations). 
En embuscade, la finance traditionnelle pourrait lancer une OPA sur des pans entiers d’un secteur (plateformes, fonds…) en quête de capitaux pour son coûteux développement. Après la débâcle des cryptobanques (Silvergate, Signature Bank), des institutions financières lorgnent leurs activités laissées vacantes. Alors qu’aux Etats-Unis, les acteurs du secteur financier traditionnel et des cryptos se parlent et tentent de travailler ensemble, ces deux mondes s’ignorent totalement en Europe. En France, pour des raisons idéologiques, « les institutionnels nourrissent encore et toujours une méfiance vis-à-vis des cryptos », regrette Benoît Pellevoizin, directeur général de CoinShares France.
Mais les grands investisseurs significatifs de la première heure n’ont pas abdiqué. Ces principaux détenteurs de cryptos font toujours la pluie et le beau temps sur le marché, au risque de le manipuler. Les amendes contre le secteur des cryptos restent modestes au regard des profits colossaux engrangés. CZ, le patron de Binance, va acquitter une amende de 50 millions de dollars alors que sa fortune est estimée à plus de 10 milliards par « Forbes ».

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