Un nouveau métier est apparu ces derniers jours. Ce métier n’a aucun avenir, mais sa simple évocation a déclenché un nouveau couac gouvernemental. Rive droite, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a estimé cette évocation « regrettable ». Des commerçants ont protesté . Rive gauche, le ministre de l’Ecologie, Christophe Béchu, « assume ». Les Verts applaudissent.

Mini-tempête ou débat majeur ? Ce métier, c’est dévendeur. Il est apparu dans de petites vidéos imaginées par le publicitaire Havas pour l’Ademe, acronyme d’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. En magasin ou en ligne, un jeune homme propre sur lui, oeil malicieux, barbe et moustache du moment, conseille tout en douceur de ne surtout pas acheter de polo, de ponceuse, de machine à laver, de téléphone mobile neuf. Et des clients surpris suivent son conseil.
En ces temps de conjoncture incertaine, ce serait une catastrophe si les Français écoutaient ces sirènes dévendeuses en basculant soudain dans la sobriété. Depuis la flambée des prix l’an dernier, ils ont déjà le moral dans les chaussettes. Rechignant à dépenser, ils épargnent près de 20 % de leurs revenus , un tiers de plus qu’avant l’épidémie de covid.

Coussin d’épargne
Or depuis des décennies, la consommation fait la moitié de la croissance française. Et aujourd’hui, elle semble être à peu près le seul moteur solide de l’activité. L’investissement en logement est ravagé par la poussée brutale des taux d’intérêt. L’investissement des entreprises est miné par des carnets de commandes friables.
Les exportations peinent à progresser dans un monde au ralenti et de plus en pleine fragmentation. Et il n’est plus question de relancer la dépense publique après trois années de vannes grandes ouvertes « quoi qu’il en coûte ». Les particuliers sont donc les seuls à pouvoir soutenir réellement la demande et donc la production. D’autant qu’ils sont loin d’avoir dégonflé leur coussin d’épargne accumulé pendant les confinements, contrairement par exemple aux Américains.

Entreprises fragilisées
A court terme, Bruno Le Maire a raison : il serait périlleux de faire descendre la consommation d’une marche. L’activité serait encore plus molle, l’argent rentrerait moins dans les caisses de l’Etat alors qu’il faut augmenter nombre de dépenses publiques (transition, santé, défense, éducation…), le chômage remonterait en flèche, et des entreprises déjà fragilisées, comme dans le commerce de vêtements, iraient au tapis en masse.
A long terme, c’est Christophe Béchu qui a raison. Si nous voulons vraiment réduire nos émissions de carbone, il faut évidemment limiter certains achats, passer parfois de la possession à la location ou l’emprunt, réparer davantage, prolonger la durée de vie de nombreux produits.

Conditions sociales détestables
Mais le dévendeur de l’Ademe révèle aussi la difficulté de cette immense mutation. Commençons par l’achat d’un téléphone mobile reconditionné. C’est sans doute le changement le plus simple à faire. Encore faut-il être sûr de la qualité du reconditionnement, et de l’absence d’éventuelles faiblesses cachées qui auraient pu pousser le détenteur d’un mobile à le revendre.
Vient ensuite le polo. Il y a d’excellentes raisons de renoncer à en acheter un nouveau. Il est fabriqué par une industrie textile qui consomme beaucoup de ressources naturelles (eau pour faire pousser le coton, énergie pour traiter et produire, etc.) dans des conditions sociales souvent détestables. Il peut aussi continuer d’être porté même quand il est taché ou usé (le député européen à forte fibre écolo Pierre Larrouturou a posté sur le réseau social X une photo d’une de ses chemises au col élimé). Et parfois les placards débordent.

Location souvent coûteuse
Mais les boutiques de vêtements sont l’une des composantes essentielles du tissu commercial des villes. Elles emploient des milliers de femmes et d’hommes, souvent peu qualifiés, qui ne retrouveront pas facilement du travail ailleurs en cas de fermeture. Il y a là un risque social majeur.
Passons ensuite à la ponceuse. Le dévendeur conseille gentiment de passer à l’emprunt ou la location. Mais tout le monde n’a pas un loueur ou une « outillothèque » près de chez lui. Quand on s’éloigne des villes, il faut faire des dizaines de kilomètres pour en trouver. De plus, la location est souvent coûteuse.

Enfin la machine à laver. Le dévendeur recommande à sa « cliente » de faire réparer la sienne plutôt que d’en acheter une nouvelle. C’est bien sûr une meilleure solution. Encore faut-il que la machine soit facile à réparer, que le réparateur soit à la hauteur, qu’il puisse venir rapidement, qu’il ait les pièces, que sa facture ne soit pas extravagante. Et qu’il n’ait pas à revenir quinze jours plus tard, car la vieille machine commence tout simplement à fatiguer.

Défi culturel
Renoncer, recycler, réparer, louer au lieu d’acheter… Tout cela est souhaitable pour une autre raison que la préservation des ressources de la planète : le renforcement de la souveraineté nationale, alors que la France a un déficit commercial massif et qu’elle pourrait peiner à s’approvisionner dans un monde où de plus en plus de pays restreignent leurs exportations.
Pour y arriver, il faudra passer d’un horizon à l’autre, du court terme au long terme. Le défi n’est pas seulement économique, social, politique, il est aussi et surtout culturel. Comme le disait Béchu en présentant la campagne de l’Ademe , il faudra en passer par « la construction d’un imaginaire collectif différent ». Une construction qui prendra du temps, alors qu’il faut aller vite. Il n’est pas trop tard pour commencer.

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