Dans les scénarios prospectifs visant à élaborer des visions d’un monde neutre en carbone à l’horizon 2050, la voie de la séquestration géologique du CO2 (CCS) est souvent présentée comme étant une solution de dernier recours pour des secteurs industriels qui ne pourraient pas être décarbonés autrement, notamment via l’électrification de leurs procédés ou en utilisant de l’hydrogène bas carbone.

Mais depuis quelques mois, cette voie CCS est envisagée par ses promoteurs comme la solution première pour décarboner l’industrie en Europe tout en préservant les emplois et en évitant les délocalisations des industries fortement consommatrices d’énergie.

Majors pétrolières et gazières
Reposant sur les énergies fossiles, le CCS permettrait de limiter les investissements à réaliser sur les sites industriels existants, en y adjoignant « seulement » des installations de captage du CO2 émis. Ces sites seraient raccordés à une infrastructure de transport du CO2 à construire, afin de l’acheminer vers des sites d’enfouissement dans des couches géologiques profondes, notamment sous la mer du Nord.
Comme ces technologies d’injection du CO2 sont déjà utilisées par les compagnies pétrolières pour extraire plus de pétrole et de gaz, il suffirait de les transposer afin que le CO2 soit injecté dans des structures géologiques stables qui devront le séquestrer pour des centaines d’années.
De nombreux projets dans le domaine du CCS émergent en Europe, souvent portés par des majors pétrolières et gazières, affichant l’ambition de mettre en place dans la prochaine décennie une infrastructure industrielle CCS complète avec des cibles de coût autour de 150 euros pour capter, transporter et stocker une tonne de carbone. Cette promesse paraît suffisamment attractive pour de nombreuses parties prenantes qui soutiennent sa mise en place rapide.

Objectif de la COP28
Cette vision « tout-CCS » présente toutefois un certain nombre de risques, qu’il convient de bien apprécier avant de prendre des décisions pour le très long terme. D’abord, cette filière accroît le recours aux énergies fossiles. En effet, le captage du CO2 sur les sites industriels conduit mécaniquement à un accroissement de la consommation d’énergie des sites industriels, les procédés de captage demandant de l’énergie supplémentaire.
Les industriels seront donc encore plus exposés aux variations des prix de ces énergies, importées en plus d’être fossiles. Un recours massif au CCS irait ainsi à l’encontre du souhait de renforcer la souveraineté énergétique européenne, et éloignerait la France et l’Union européenne des objectifs pris récemment lors de la COP28 à Dubaï pour une transition hors des énergies fossiles.

Filière texane
De plus, des doutes sérieux existent sur la compétitivité d’une filière européenne, au regard notamment de solutions CCS envisagées dans d’autres parties du monde. Au Texas notamment, il existe déjà une infrastructure de pipelines de CO2 de plusieurs milliers de kilomètres développée par l’industrie pétrolière, des structures géologiques adaptées et accessibles, et une perception sociétale positive sur les activités de forage qui permettent d’imaginer pouvoir enfouir le CO2 à proximité immédiate des sites industriels.
Comment les productions décarbonées via une filière CCS européenne pourront-elles être compétitives avec un tel handicap structurel de coût ?
Les coûts complets envisagés par la filière CCS texane sont de l’ordre de 50 à 60 euros la tonne de CO2. Comment les productions décarbonées via une filière CCS européenne pourront-elles être compétitives avec un tel handicap structurel de coût ? Permettront-elles vraiment de maintenir une compétitivité européenne comme espéré ?

Economie circulaire
En réalité, la mise en place d’une infrastructure tout-CCS préempte d’autres solutions plus durables. Au lieu d’être stocké, le CO2 capté sur les sites industriels pourrait aussi être réutilisé pour constituer la matière première dans une approche d’économie circulaire du carbone dite CCU (captage et utilisation du carbone). Cette voie CCU envisage par exemple de recombiner ces molécules de CO2, localement, avec de l’hydrogène bas carbone pour produire des e-fuels qui réduiront l’empreinte carbone de l’aviation et du transport maritime.
Il serait aussi possible de synthétiser des molécules pouvant être à nouveau utilisées dans des applications industrielles (chimie par exemple). Ces voies prometteuses pourraient être compromises si une infrastructure de collecte du CO2 est dédiée exclusivement à son enfouissement.

Si la voie CCS fait probablement partie du panel des solutions à développer pour atteindre la neutralité carbone, elle ne constitue pas la solution miracle qui permettra de décarboner nos économies. Nous ne pourrons malheureusement pas faire l’économie de repenser nos modèles d’organisation et de réduire notre dépendance aux énergies fossiles.

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