La troisième fracture est celle des revendications de plus en plus officielles du contrôle des données personnelles collectées par les plateformes. Facebook est gratuit, comme tant d’autres innovations de l’ère numérique. C’est ce qui en fait leur succès exponentiel. Mais en réalité rien n’est jamais gratuit. En contrepartie de leur utilisation de Facebook, les utilisateurs donnent leurs informations les plus personnelles. Et c’est cela qui a un prix, que les géants du net ont très rapidement appris à monnayer. C’est ce qui fait leur colossale fortune. Aujourd’hui Google et Facebook drainent plus de 88 % de la manne publicitaire en ligne. Leurs algorithmes sont si puissants, leur audience si massive que la concurrence semble impossible.  
 
La pluie et le beau temps
Forts de cette puissance immense, les géants du net peuvent faire la pluie et le beau temps sur tout leur écosystème. Quand Facebook, sous prétexte de chasser les fake news et de revenir à ses « fondamentaux » de réseau social, chasse les médias de ses fils d’actualité, c’est tout un secteur économique qui se retrouve sur le point de basculer. De la même façon, quand Apple décide de modifier les règles de ses applications, ce sont des milliers d’entreprises qui doivent s’adapter ou périr.
Les géants du web seraient-ils devenus trop gros ? Sont-ils dangereux ? « Ne nous laissons pas dévorer » s’alarme Roger McNamee cofondateur d’Elevation Partners un des investisseurs de référence de la Silicon Valley.
Une ligne de fracture apparaît et avec elle l’augmentation de la prise de conscience des risques que soulèvent ces plateformes. Si l’on ajoute à ce revirement les critiques liées à l’incivisme de ces géants qui échappent à l’impôt, aux risques sur la santé publique que peut faire porter l’addiction aux réseaux et aux machines numériques, à l’obsolescence programmée révélée au grand jour, on arrive à une situation inévitable. La magie ne fonctionne plus, le charme est rompu. Sylvie Kaufmann parle dans le journal Le Monde d’ « honneur perdu des Big Techs », de désamour et de moment Frankenstein. Ce moment où les créatures dépassent leur créateur.
 
Point d’inflexion
Les États vont devoir prendre en main le problème et réguler les activités des opérateurs du net. L’époque de la liberté et du développement sans frein semble révolue. David Autor, professeur d’économie au Massachusetts Institute of Technology, qui ne peut être taxé d’anti-technologisme de base, déclare au Guardian : « Nous sommes peut-être à un point d’inflexion où nous cessons de nous réjouir de plus en plus de nos champions de la technologie et devenons plutôt réalistes sur le fait qu’ils sont des entreprises à but lucratif comme tant d’autres avant eux. Ils créent d’excellents produits, ce qui est impressionnant. Mais leurs intérêts ne sont pas intrinsèquement civiques. Je ne leur en veux pas pour ça. Mais il est de la responsabilité du gouvernement, des régulateurs de la politique de concurrence et des citoyens attentifs de veiller à ce que ces acteurs non étatiques importants soient incités à se comporter de manière éthique ».
 
Ce besoin d’éthique prend une dimension majeure quand on observe le développement fulgurant de l’Intelligence artificielle. Google et Facebook y prennent une avance considérable. L’enjeu est d’ordre public. Les innovations qui viennent vont détruire des millions d’emplois, changer les règles de la vie privée, modifier en profondeur les modèles d’appréhension de la santé et construire un autre rapport des citoyens au monde. Dans son discours prononcé à Davos le 24 janvier dernier le Président français Emmanuel Macron appelle à prendre garde à ce que notre monde ne passe pas de celui de Schumpeter avec sa destruction créatrice à celui de Darwin avec sa loi du plus fort. Il prédit : « On doit aussi penser la régulation sur le plan des principes des grands acteurs internationaux du numérique et des innovations. Il y a des déstabilisations financières […]  mais il y a aussi des déstabilisations dans nos sociétés liées à l’innovation technologique. On n’a aujourd’hui pas le cadre pour les penser, à quel moment on va décider de stopper des innovations parce qu’il faudra le faire à un moment donné. À quel moment on va dire l’intelligence artificielle on met une ligne rouge parce que ça disrupte pour le coup non pas des vieux systèmes productifs mais notre rapport à la liberté individuelle, au respect des droits privés, parce que ça met en cause l’intégrité de l’humain et du vivant, il y a des sujets philosophiques et de principe qu’on va se poser ».
 
Régulation, ligne rouge, respect des droits. Les grands mots sont lâchés. Le temps des GAFA est vraiment en train de changer.

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