Avec 66 articles abscons, couvrant quatre catégories de crimes tous passibles de la prison à vie – « sécession », « subversion », « terrorisme » et « collusion » -, la loi a déjà été officiellement invoquée à de nombreuses reprises depuis un an. Des candidats du camp pro-démocratie ont reçu l’interdiction formelle de concourir aux élections, des slogans comme « Glory to Hong Kong » ont été bannis des écoles, et des vagues de dizaines d’arrestations ont eu lieu à plusieurs reprises, notamment en juillet, décembre et janvier derniers. À la clé, peu de libérations sous caution mais beaucoup de détentions « provisoires », dans l’attente de futurs procès. D’autres jugements qui ne concernent pas directement la nouvelle loi, comme ceux du magnat de la presse Jimmy Lai et du jeune militant Joshua Wong, ont d’ailleurs déjà eu lieu. Tous deux purgent actuellement des peines de plus d’un an de prison pour leurs rôles respectifs dans l’organisation des manifestations de 2019, au plus fort de la mobilisation contre le gouvernement pro-Beijing de Carrie Lam. En attendant, sauf miracle, des sentences encore plus lourdes pour violation de la nouvelle sécurité nationale.

Plus récent : le 4 juin dernier, le rassemblement annuel de commémoration du massacre de Tian’anmen a été formellement interdit, la police hongkongaise citant à la fois « le contexte sanitaire » et la loi sur la sécurité nationale pour justifier sa décision, rappelant au passage que toute participation à un rassemblement non-autorisé était passible de cinq ans de prison. Figure de proue de ceux qui participent à la traditionnelle veillée aux bougies à cette date, l’avocate Chow Hang-tung a été arrêtée dès l’aube à son domicile. Des centaines de policiers ont bouclé les accès au parc Victoria, resté vide pour la première fois en trente-deux ans. « L’année dernière, dans mon quartier, nous étions environ 500 personnes à participer au rassemblement, cette année nous étions 35, constate Leslie Cheung, une activiste présente sur place *. C’est toute la stratégie de la nouvelle loi : moins il y a de gens qui participent aux manifestations, plus les militants sont facilement ciblés et harcelés. » Face à l’impossibilité de se rassembler, certains ont tout de même trouvé d’autres moyens de commémorer cet anniversaire. Des magasins ont soudainement mis à disposition des lots de bougies présentées comme « purement festives » ; des habitants ont allumé des petites lumières à leurs fenêtres ; d’autres, croyants ou non, ont participé à des services religieux dédiés dans des églises ouvertes pour l’occasion. 

Les images de Tian’anmen, justement, Lok Kan les avait découvertes en direct, en 1989, en compagnie de ses deux parents dans le salon familial, depuis Hong Kong. « Je n’avais que 7 ans à l’époque, mais je me souviens encore des larmes qui coulaient sur le visage de mon père. Il murmurait tout bas : “Ils sont en train de les tuer…” », se remémore cette comédienne et militante de 39 ans, toujours dans l’attente de la validation de la demande d’asile politique en France qu’elle a effectué il y a 6 mois. Quelques heures après le massacre, toute sa famille était descendue dans la rue, comme beaucoup d’autres, en mémoire des victimes. « Tout le monde était là, même mes oncles et mon père qui sont pro-communistes. » Une situation impossible à imaginer aujourd’hui : « Désormais, mon père est persuadé qu’il n’y a eu aucun mort sur place, que tout n’était que “mise en scène” ou “complot”. Il ne récite pas la propagande du Parti communiste, il en est sincèrement convaincu. On a déjà eu cette conversation plusieurs fois, y compris alcoolisés : on voit dans ses yeux qu’il croit sincèrement dire la vérité. WeChat et les réseaux sociaux chinois lui ont complètement retourné le cerveau. »

Désormais, si Lok Kan a décidé de ne plus rentrer dans sa ville natale jusqu’à nouvel ordre, c’est d’ailleurs par crainte que sa propre famille, côté paternel, la dénonce auprès de la police. Et pour cause : outre son lobbying actuel, elle a vécu au plus près les secousses politiques qui ont traversé Hong Kong ces dernières années. Mouvement des parapluies en 2014, occupation temporaire du Conseil législatif en 2019, manifestation géante le 1er janvier 2020… À chaque événement de grande ampleur, elle était là aux premières loges, pour soigner les blessés ou « faire nombre ». Aujourd’hui, elle reste surtout en contact avec sa mère, une « pro-démocrate convaincue » dont elle rêve ou (cauchemarde) souvent la nuit. Au téléphone (dans la vraie vie, cette fois), cette dernière ne cesse de lui répéter : « On se reverra un jour, à Taïwan ou ailleurs, quand Hong Kong sera libre. »

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