Sur les décombres de FTX, l’opéra baroque de Sam Bankman-Fried, les acteurs des cryptos et du bitcoin redoutent de vivre un « crypto maccarthysme » aux Etats-Unis et par contagion sur toute la planète. Cette chasse aux sorcières est d’autant plus injuste que de nombreux hommes politiques américains ont bénéficié de l’argent du secteur pour leurs élections. Incapables d’avoir prévu l’effondrement du groupe de Sam Bankman-Fried, le « Lehman Brothers des cryptos », les Etats-Unis veulent se racheter et ne laissent plus rien passer. La volumineuse et contraignante réglementation bancaire Dodd-Frank est née de la crise de 2008 et des dérives spéculatives de la finance. Six mois après la débâcle de FTX, les régulateurs ont étrillé à peu près tous les acteurs de la cryptosphère sans distinction de secteur, de notoriété et de taille.

Binance, la plateforme leader mondiale, l’a appris à ses dépens. Coinbase redoute d’être épinglé à son tour par le régulateur des marchés américains, la Securities and Exchange Commission (SEC). Elle estime que la plupart des cryptos, à l’exception du bitcoin et de l’ethereum, sont des actifs financiers, qui entrent dans son champ de surveillance. Les cryptobourses qui s’adressent à des Américains et proposent des cryptos autres que le bitcoin (25.700 euros) et l’ethereum (1.700 euros) doivent s’enregistrer auprès de la SEC sous peine de sanctions. Ne proposer que les deux principales cryptos n’est pas rentable compte tenu de la féroce compétition qui fait plonger les commissions vers zéro pour le bitcoin et l’ethereum. Elles sont devenues des produits d’appel vers des produits plus rémunérateurs.
A la différence des bourses traditionnelles, les grandes plateformes de cryptos assurent toute une série de fonctions pour leurs clients (conservation des actifs, prêts, fourniture de liquidité par leurs propres firmes de trading…). Ce modèle du « tout-en-un » a permis la démocratisation des cryptos auprès d’un plus large public, la hausse du nombre d’utilisateurs et donc des cours et des profits. Mais il s’avère risqué, comme la faillite de FTX l’a exposé. Les cryptobourses pourraient être contraintes de céder certaines de leurs activités jugées non compatibles du fait de conflits d’intérêts ou trop risquées. Trop concentrée, centralisée et imbriquée, la finance 2.0 pourrait évoluer vers plus de décentralisation.

Pour les autorités américaines, le bitcoin n’est plus une « nouvelle frontière » à conquérir dans l’innovation mais un mirage, une impasse monétaire et énergétique. Sonnées par le durcissement, un nombre croissant de sociétés et plateformes d’échanges de cryptos américaines envisagent de partir pour s’installer ailleurs, notamment en Europe, où le cadre réglementaire (Mica) vient d’être établi. Il est loin de satisfaire les intéressés sur tous les points, mais il a au moins le mérite d’être arrêté et de supprimer les incertitudes juridiques. Changpeng Zhao CZ, le dirigeant de Binance, s’est félicité que « l’un des plus grands marchés du monde introduit des réglementations sur mesure afin de protéger les utilisateurs et de soutenir l’innovation. Il existe désormais des règles du jeu claires pour que les plateformes fonctionnent dans l’Union européenne. Nous sommes prêts à apporter des ajustements à notre entreprise au cours des 12 à 18 prochains mois pour être en pleine conformité ».

Crise bancaire
L’avant-garde des cryptos tourne désormais le dos à la mère patrie, qu’elles croyaient être une terre promise, celle des libertés et de la prise de risque qui ont fait la notoriété de la Silicon Valley. Face à la tyrannie supposée de l’Etat fédéral et de sa banque centrale, la Réserve fédérale, les cryptos étaient perçues outre-Atlantique comme un des rares espaces de liberté et d’expérimentation vers l’autosuffisance et l’indépendance monétaires.
Les craintes sur les banques traditionnelles ont offert une campagne de publicité gratuite, mondiale et inespérée pour le secteur des cryptos. Ses défenseurs ne cessent de répéter que l’argent n’est jamais en sécurité dans une banque. Les citoyens doivent reprendre en main leurs finances. La chute de SVB et les déboires de Credit Suisse ont certes entraîné quelques transferts d’argent vers les cryptos, mais pour le moment, ce sont surtout les banques perçues comme les plus solides qui ont profité des déboires de leurs concurrentes.

Les coulisses de l’effondrement de FTX
La route est encore longue pour éponger le passif de 2022 (dettes, faillites, restructurations, procès). Le marché a regagné 50 % par rapport à son niveau atteint après l’onde de choc de FTX, mais il devra regagner 200 % pour revenir à son record historique atteint en novembre 2021. Le bitcoin et l’ethereum, les deux leaders, ont regagné des parts de marché, témoignant de la phase de convalescence du secteur. La prise de risque sur des cryptos de plus en plus petites, qui avait précipité le chaos un an plus tard, est bien moins débridée.
Comme les marchés traditionnels, les cryptos avaient sous-estimé l’ampleur et la vitesse des resserrements monétaires des banques centrales de 2022. Une erreur : elles s’estimaient immunisées en partie contre l’envolée des taux d’intérêt. Elle a mis fin aux liquidités bon marché qui avaient alimenté la bulle spéculative de tous les actifs risqués (tech, cryptos, capital-investissement…). Avec l’échec des cryptobanques, le secteur reste confronté à des problèmes de liquidité et de financements. Les prêteurs vont être bien plus sélectifs sur les projets.

Bitcoin à 100.000 dollars
En tant qu’actifs financiers, les cryptos se sont banalisées et intégrées progressivement aux marchés depuis cinq ans. Le bitcoin et l’ethereum réagissent aux politiques monétaires et aux statistiques très suivies par les investisseurs, comme l’inflation. Mais les liens entre les marchés financiers traditionnels et les mouvements des cryptos ne sont pas stables. Parfois le bitcoin évolue dans le même sens que les actions, alors qu’actuellement c’est plutôt l’inverse. De manière plus rare, il suit les cours de l’or. Sur le long terme, le bitcoin n’est ainsi ni un actif refuge ni un instrument de protection contre l’inflation. C’est un pari sur la digitalisation de l’économie et de la finance.
La leader des cryptos n’est pas une rivale de la leader des monnaies, le dollar. La dedollarisation (moindre dépendance du commerce et de la finance mondiale à l’égard du dollar), va surtout profiter aux grandes monnaies comme le yuan grâce à ses 1,4 milliard d’utilisateurs. La Chine n’a pas fermé définitivement les portes aux cryptos mais Pékin ne souhaite aucune concurrence de près ou de loin avec la version numérique de sa monnaie. Son e-yuan se veut un anti bitcoin au service du pouvoir.

Cryptos et bitcoin : la première alerte
Les firmes de trading, les institutionnels et les fonds déjà engagés sur les cryptos maintiennent globalement leur confiance dans le potentiel de long terme de cette classe d’actifs alternative apparue il y a une quinzaine d’années. Ceux qui hésitaient vont opter pour l’attentisme. La faillite de FTX n’a pas fondamentalement remis en cause la tendance à l’institutionnalisation. Pour le meilleur ou le pire, selon le point de vue, c’est aussi le cas d’Elon Musk. Il a ouvert Twitter aux quatre vents des cryptos en nouant un partenariat avec le courtier en ligne Etoro.
Les banques sont bien plus réticentes et restent pour le moment en retrait des cryptos. Durant la phase euphorique, elles avaient multiplié les comités de réflexion sur la blockchain, tout comme les groupes de nombreux secteurs. Peu de projets concrets ont abouti. Cela n’empêche pas la finance traditionnelle de se montrer enthousiaste sur les perspectives purement financières des cryptos. Un analyste de la banque Standard Chartered estime que le bitcoin pourrait gagner plus de 200 % par rapport au cours actuel et atteindre en 2024 le niveau de 100.000 dollars. Cette somme était ce qui restait de sa fortune de 30 milliards de dollars, selon les déclarations de Sam Bankman-Fried, quelques jours avant son arrestation pour fraude.

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