Personne ne peut la manquer. Dans une réunion internationale, on l’aperçoit toujours vêtue d’un ensemble traditionnel en coton imprimé aux couleurs vives. A soixante-six ans, Ngozi Okonjo-Iweala prend les rênes de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour un mandat de quatre ans. Sa nomination, elle la doit à la défaite présidentielle de Donald Trump. L’ex-président des Etats-Unis était le seul à défendre une autre candidate , la ministre du Commerce sud-coréenne, Yoo Myung-Hee. Joe Biden, son vainqueur, s’est rendu à l’avis des autres pays membres pour la soutenir. Non seulement l’OMC sera dirigée pour la première fois par une femme , mais c’est aussi la première fois qu’une personnalité africaine accède à la tête d’une organisation internationale.

Cela aurait pu arriver plus tôt. En 2012, précisément, lorsqu’elle se porte candidate à la présidence de la Banque mondiale . A l’époque, elle dispose de soutiens aussi prestigieux que ceux de « The Economist », du « Financial Times » et du « Monde ». Las, la coutume voulant qu’un Américain préside aux destinées de l’institution multilatérale prévaut. Et c’est le candidat de Washington, Jim Yong Kim , d’origine sud-coréenne, qui est élu. « Une défaite ? Vous voulez dire une immense victoire ! » lâche-t-elle alors au quotidien « Le Monde ». « Les Africains ont réussi l’immense pari de disputer un poste qui ne l’avait jamais été ! » revendique-t-elle. Ngozi Okonjo-Iweala est une femme de caractère. Et tenace. Son parcours a de quoi impressionner.

Un père omniprésent
Elle naît le 13 juin 1954 au Nigéria dans le delta du Niger. Plus précisément dans le petit royaume d’Ogwashi-Ukwu que son père dirige. Cette fonction royale, exercée par sa famille depuis 1867, consiste à veiller au bien-être de toute la population et donc à l’état de l’électricité, des routes, à l’éducation… Et de régler les différends entre les habitants. La guerre du Biafra, qui éclate en 1967, sera pour elle un épisode douloureux. « Ce qui m’a le plus affectée, c’est de voir tant d’enfants mourir du kwashiorkor [malnutrition, NDLR] », confie-t-elle encore. « Comme mon père était brigadier dans l’armée du Biafra, nous faisions la cuisine pour les soldats avec ma mère. Mais nous ne pouvions rester quelque part trop longtemps. »

Trois choses à savoir sur Ngozi Okonjo-Iweala

Lorsque sa petite soeur de trois ans souffre d’une grave crise de paludisme, elle l’emmène au centre médical le plus proche, à la demande de sa mère, à 5 kilomètres de là. A pied. « J’avais douze ans, je l’ai accrochée sur mon dos et nous sommes parties. » A son arrivée au dispensaire, fermé, une foule s’agglutine devant une fenêtre. « Quand je l’ai vue, j’ai remis ma soeur sur mon dos, j’ai fendu la foule jusqu’à la fenêtre et j’ai grimpé. C’est comme ça que nous avons vu le médecin ! » Et sauvé sa soeur par une injection de chloroquine.

Identité africaine affirmée
De ses années difficiles où elle manque de tout, Ngozi Okonjo-Iweala garde une philosophie que lui transmet son père : peu importent les objets qui lui manquent, tant qu’elle garde la tête sur les épaules. Les biens matériels peuvent se récupérer rapidement. L’autre enseignement qu’elle garde de son père tient à son identité de femme africaine. Quand, à dix-neuf ans, elle quitte le Nigéria pour aller étudier aux Etats-Unis, il la prévient qu’elle risque d’être confrontée à des discriminations.

Sous son gant de velours, il y a une main de fer et une forte volonté.

« Si ta couleur ou ton genre gênent les autres, ce n’est pas ton problème, c’est le leur. Ne te laisse pas impressionner. Au contraire, tires-en de la force », raconte-t-elle encore au quotidien « La Croix ». Dans sa carrière, il lui est arrivé d’entrer dans une pièce et d’entendre dire « où est le chef ? ». Inconcevable, pour certains, qu’une femme noire dirige la réunion.

Une carrière ministérielle
Aux Etats-Unis, elle cumule les plus hauts diplômes d’économie dans les prestigieuses universités : Harvard, en 1976, et Massachusetts Institute of Technology (MIT), en 1981. L’année suivante, elle entre à la Banque mondiale. Elle est chargée de suivre, au Nigéria, l’avancée des projets financés par l’institution multilatérale.

Un job qui n’est pas de tout repos. L’institution est honnie dans le pays, en raison des mesures d’ajustement structurel imposées dans les années 1980 pour lutter contre la récession. Mais son travail est si apprécié qu’elle gravit les échelons jusqu’à devenir secrétaire du conseil d’administration de la Banque mondiale, à la demande du président d’alors, James Wolfensohn .

Le sexisme reste omniprésent. Le surnom gagné dans sa jeunesse de « Okonjo Wahala » – « l’emmerdeuse » en yoruba lui colle à la peau. Mais l’intéressée ne se démonte pas : « je le prends comme une marque de respect. Pour moi, cela veut dire ‘Tu n’as pas intérêt à te mettre sur le chemin de cette femme’ », confiait-elle, en juin dernier, à « Ecofin Hebdo » .

Lutte contre la corruption
Avec son expérience, le président Olusegun Obasanjo lui enjoint de revenir au pays en 2003. Il la nomme ministre des Finances. Trois années durant, elle s’impose comme une gestionnaire rigoureuse. Elle met en place les meilleures conditions pour libérer le potentiel économique du pays. L’une de ses priorités est la lutte contre la corruption. Elle livre à la justice les dignitaires convaincus de corruption, et privatise de nombreuses entreprises publiques. Elle fait publier les recettes de l’industrie pétrolière ainsi que les sommes versées aux collectivités locales pour réduire les risques de détournement.

Elle s’offre même un très beau succès : elle parvient à effacer 18 milliards de dollars de dette, sur un total de 30 milliards dus par le Nigéria aux créanciers du Club de Paris. La ministre réussit aussi le tour de force de faire reculer de 23 % à 11 % le taux d’inflation du pays et à multiplier par trois le produit intérieur brut (PIB) nigérian. Elle obtient aussi la première notation souveraine de crédit de son pays par les agences Fitch et Standard & Poor’s.

Retour à la Banque mondiale
Malgré ses succès, Ngozi Okonjo-Iweala dérange et le président Obasanjo la rétrograde des Finances aux Affaires étrangères. Elle démissionne deux mois plus tard. A nouveau disponible, elle opère son retour à la Banque mondiale, rappelée en 2007 par le président de la Banque de l’époque, Robert Zoellick . Il la nomme directrice générale. La voilà propulsée numéro deux d’une organisation internationale. C’est la première femme africaine à occuper un tel poste. Elle va y rester jusqu’en 2011, date à laquelle un autre président du Nigéria, Goodluck Jonathan, lui demande de reprendre le portefeuille ministériel des Finances.

Tout le monde veut travailler avec elle. Je ne pourrais pas être plus fier de travailler pour elle.

Elle saute le pas, malgré les menaces de mort, et revient aux commandes, encore plus déterminée que lors de son premier passage. Pour beaucoup de fonctionnaires et d’hommes d’affaires qui ont un accès illégal aux finances publiques, son retour signifie la mort de la poule aux oeufs d’or. En instaurant avec le soutien de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) un système d’authentification biométrique pour la fonction publique, elle élimine en trois ans quelque 60.000 fonctionnaires fictifs à qui l’Etat payait chaque mois un salaire… L’économie réalisée se chiffre en milliards de dollars.

Sa mère est enlevée contre sa démission
L’année suivante, elle réduit de moitié les subventions au carburant, qui coûtent 8 milliards de dollars par an au gouvernement et dont une bonne partie est détournée. Le prix de l’essence double à la pompe. C’est l’étincelle qui met le feu aux poudres. Sa mère de quatre-vingt-trois ans est enlevée. « Durant les trois premiers jours, leur seule demande était ma démission. Mon père m’a demandé de ne pas démissionner. Le président m’a demandé de ne pas démissionner. A la fin, tout le monde s’est mis à sa recherche et les ravisseurs l’ont libérée », raconte-t-elle.

Ngozi Okonjo-Iweala. Populaire

Dans une autre version rapportée à l’hebdomadaire « Le Point », en mars 2014, Ngozi Okonjo-Iweala raconte des faits plus rocambolesques assurant que sa mère s’est débarrassée de ses liens et s’est enfuie au nez et à la barbe de ses ravisseurs jusqu’à un arrêt de bus qui l’a ramenée chez elle.

Si beaucoup saluent son parcours exemplaire, l’ex-ministre nigériane n’a pas que des laudateurs. « Ministre, elle a peut-être adopté quelques réformes sur la transparence, mais près de 1 milliard de dollars disparaissaient chaque mois des caisses de l’Etat quand elle dirigeait les finances », explique Sarah Chayes, auteur de « Thieves of State », un essai sur la corruption à grande échelle.

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