Par Paul Molga

Où placer au mieux le curseur du bonheur dans notre société ? Dans le pouvoir d’achat ou dans la sérénité ? Les philosophes japonais ont tranché depuis longtemps en érigeant l’ikigaï en principe de vie. « Avoir le sentiment d’être à sa place dans le monde compte plus pour le développement personnel que la course aux possessions », résument-ils.

L’ikigaï (de « iki », vie, et « gaï », valeur) est un sentiment intime qui nourrit la joie de vivre. « C’est notre raison d’être, de mission et de motivation qui donne envie de se lever le matin avec enthousiasme », résume la psychothérapeute Audrey Akoun.
L’ikigaï se place à l’intersection de plusieurs objectifs de satisfaction personnelle que ne remplit pas le pouvoir d’achat : ce que j’aime faire, ce pour quoi je suis doué, ce dont le monde a besoin, ce pour quoi je suis rétribué. Sans l’équilibre de ces questions, le doute s’immisce : on peut être satisfait de son métier mais se sentir inutile, avoir une vie confortable mais un sentiment de vide, ou vivre sa vocation dans l’incertitude du lendemain.

Classes moyennes insatisfaites
C’est ce sentiment d’inaccomplissement que constate une récente étude de la Fondation Jean-Jaurès sur « Les classes moyennes en tension ». « De nombreux Français sont résignés face à l’inégalité et au déclassement », y analyse Jérôme Fourquet, directeur du département opinion et stratégies d’entreprise à l’Ifop.
Entre 9 % et 34 % des Français dans cette catégorie, selon qu’ils s’autoproclament appartenir à la classe moyenne supérieure ou inférieure, se disent insatisfaits de la position sociale qu’ils occupent. Et ce sentiment augmente dans les classes moyennes « véritables », passé de 22 % de mécontents en 2010 à 28 % aujourd’hui.

Vies rétrécies
La plupart des économistes attribuent cette dégradation à celle du pouvoir d’achat. Ils mettent en avant ce que les auteurs de l’étude Jean-Jaurès ont baptisé « shrink-consommation » : « Pour une partie de la population, la liste des restrictions s’allonge au fil des mois et dessine des vies qui se rétrécissent », analysent-ils. Ils continuent de consommer de tout, mais en portion réduite : des vacances plus courtes, moins de sorties, un Caddie plus léger… alimentant le sentiment « d’une vie au rabais ».
Agir sur le pouvoir d’achat des ménages pourra-t-il délivrer la France de cette frustration comme l’espère le président Emmanuel Macron ? Non, constate chaque année depuis douze ans le World Happiness Report créé par l’ONU pour mesurer l’aptitude au bonheur de 150 nations. Pour établir ce classement, l’institut Gallup mandaté par l’organisation sonde la manière dont les peuples de la planète notent leur propre niveau de bonheur en fonction d’ indicateurs objectifs jalonnant leur quotidien. La richesse est un des critères, mais il s’accompagne d’autres paramètres : l’espérance de vie en bonne santé, la solidarité, le respect des libertés individuelles, la générosité ambiante et la confiance envers les institutions.

Finlande heureuse
Cette année, les Finlandais se sont classés en haut du podium pour la septième fois d’affilée, entraînant dans leur pas tous les pays scandinaves avec des scores de plus de 7,5 sur 10 sur l’ensemble de ces critères. Les psychologues se sont penchés sur cette capacité hors norme qu’ont les populations de ces nations à affronter les mois de nuit polaire et de froid sans perdre le sourire.

Le chercheur Frank Martela, originaire du pays, évoque trois raisons. D’abord un moindre souci de l’apparence. « Les Finlandais ne se comparent pas aux autres. Ils fixent leurs propres normes en se concentrant sur ce qui leur apporte de la joie », explique-t-il. La nature est leur première source de bonheur : 87 % estiment qu’elle leur pourvoit de l’énergie, une détente salutaire et une tranquillité d’esprit.

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