Pour comprendre la vision et les ambitions portées par l’Earth Species Project, il faut d’abord se pencher sur les personnalités qui ont lancé cet organisme singulier en 2017. Brit Selvitelle et Aza Raskin sont les représentants de la nouvelle génération d’entrepreneurs dans la Silicon Valley. Le premier est connu pour avoir fait partie de l’équipe fondatrice de Twitter. Le second bénéficie d’une notoriété encore plus grande dans le petit monde de la tech. D’abord parce qu’il est le fils de l’homme qui lança le premier Macintosh dans les années 1970. Ensuite parce qu’il a créé de nombreuses start-ups dans les années 2000. Et enfin car Aza Raskin a largement contribué à façonner nos usages numériques actuels, en créant le concept de scroll infini, adopté aujourd’hui par tous les réseaux sociaux.

Mais depuis quelques années, Aza Raskin semble s’être éloigné de l’univers mercantile des Big Tech pour adopter une posture plus technocritique : il s’est excusé publiquement pour l’invention du scroll, a fait une apparition dans le documentaire Derrière nos écrans de fumée (2020) aux côtés d’un autre « repenti », Tristan Harris, s’est affublé d’une photo de profil où il enlace une poule, et communique presque exclusivement autour de son organisme à but non lucratif dédié à la protection de la nature : l’Earth Species Project. 
Une trajectoire atypique pour un acteur central dans son milieu, qu’Olivier Alexandre a croisé au cours de sa vaste enquête sociologique en terre californienne ayant débouché sur la publication du livre La Tech, quand la Silicon Valley refait le monde (Seuil, 2023) : « Aza Raskin correspond à la figure du visionnaire dans la Silicon Valley, explique-t-il. C’est un homme qui parvient très bien à transformer des éléments abstraits en métaphores, en story-telling. Il est aussi capable, à partir d’un moment technologique déterminé, de se projeter à très long terme avec un arc narratif extrêmement construit. »

IA inter-espèces
Pour porter sa « vision » dans les médias, Aza Raskin s’appuie sur un story-telling bien rôdé : c’est en écoutant à la radio un reportage sur le langage des singes en 2013 qu’il aurait pris conscience de l’opportunité du machine learning pour nous aider à décoder le langage animal. Et l’essor de l’IA générative au cours des derniers mois semble lui avoir donné raison : en témoigne la prolifération de projets de recherche scientifique liés au monde animal qui annoncent aujourd’hui s’appuyer sur l’intelligence artificielle. 
« Dans le monde de la recherche en 2024, on a tendance à utiliser le mot « intelligence artificielle » pour obtenir des financements », nuance Olivier Adam, chercheur bio-acousticien qui travaille sur les cris des cétacés depuis plus de vingt ans. « Après, ce qui est vrai, c’est que le machine learning nous permet d’analyser de plus grandes bases de données et de pouvoir se pencher sur des détails plus fins qu’auparavant, et ce serait dommage de se priver de ces outils. »
« Tant qu’on n’aura pas vraiment compris le langage animalier, il n’y aura pas d’interaction, pas de réel échange »
Olivier Adam, chercheur bio-acousticien

C’est en proposant un soutien technique et financier à des chercheurs en échange de l’ouverture de leurs données que l’Earth Species Project avance sur le chemin du décodage du langage animal grâce à l’IA. L’organisme soutient ainsi une multitude de projets (portant sur des espèces aussi diverses que les corneilles, les baleines à bosse ou les dauphins) et annonce avoir noué plus de quarante partenariats avec des universités et des centres de recherche à travers le monde pour obtenir l’accès à leurs bases de données liées au comportement et au langage animalier.

« On sélectionne les espèces que nous étudions en fonction de divers facteurs : le degré de sociabilité des espèces, mais aussi la quantité et la qualité des données disponibles, pour être certain que ces données puissent être utilisées pour entraîner les modèles d’apprentissage automatique », explique Jane Lawton, directrice de l’impact au sein de l’Earth Species Project. 

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