Les grands fauves peuvent s’incliner au crépuscule de leur existence. En Italie où la mode est la deuxième industrie et emploie directement ou indirectement des millions de personnes , Giorgio Armani, 89 ans, est le Gianni Agnelli de la mode, une gloire nationale qui jusqu’ici restait impassible. Aujourd’hui, il évoque le dilemme de sa succession.

Le maître de la mode italienne a bâti un empire autour de la marque éponyme qu’il cofonda en 1975 avec son compagnon, l’architecte Sergio Galeotti, disparu en 1985. Les ventes de l’entreprise atteignent environ « 3 milliards d’euros en 2023 » estime Luca Solca, analyste chez Bernstein. En 2022, Armani a en outre communiqué un bénéfice opérationnel en hausse de 30 % à 202,5 millions d’euros.
Jusqu’ici ce qui caractérisait le vétéran de la mode transalpine, virtuose du style chic et sophistiqué, était le sang-froid, et un commandement calme et l’obsession de défendre farouchement l’indépendance de son entreprise, symbole du luxe à l’italienne.

Plusieurs successeurs
La pépite pourrait-elle se muer en proie ? Armani a toujours été convoité mais avec peu d’illusions tant le dirigeant paraissait résolu à ne jamais vendre. Pour la première fois, interviewé par Bloomberg ce vendredi, il n’écarte plus l’option d’une reprise par un groupe de luxe. Comme d’autres maisons de luxe, la griffe est confrontée à un dilemme de succession.
Armani n’exclut plus une vente et n’écarte pas davantage l’option d’une IPO, une fois qu’il ne sera plus aux commandes de l’entreprise. « L’indépendance vis-à-vis des grands groupes pourrait encore être une valeur motrice pour le groupe Armani à l’avenir, mais je ne pense pas pouvoir exclure quoi que ce soit », a répondu Giorgio Armani dans un courrier adressé à l’agence Bloomberg.

« Je n’envisage pas pour l’instant un rachat par un grand conglomérat du luxe » mais « je ne veux rien exclure a priori, car ce serait un comportement pas très entrepreneurial » a-t-il ajouté. C’est un inattendu retournement et la première question qui agite le secteur depuis cette annonce, est : qui sera le repreneur ?

Le modèle économique d’Armani se distingue par sa position unique de marque moderne de créateur entrepreneur et une entreprise restée pendant plus d’un demi-siècle indépendante. « L’identité est forte et unique » confirme un analyste. « Armani a peu de contrôle sur la distribution mais c’est une marque iconique qui a sa propre esthétique, des ventes en bonne progression postpandémie et du potentiel » remarque Luca Solca.
Figure de la mode italienne, Giorgio Armani n’a jamais fait mystère d’une préférence nationale lorsqu’on l’interrogeait sur sa vision de luxe et de celle de ses concurrents. « Mais lorsqu’on refuse de choisir, on ne sait pas toujours par qui on va être avalé » nuance un familier de la marque dont la licence parfums est détenue par le groupe L’Oréal et dont les lignes de lunettes Giorgio Armani, Emporio Armani et Armani Exchange sont gérées depuis dix ans par Essilor Luxottica . Armani est assez fortement dépendante des licences.
Sur l’éventuelle perspective d’une entrée en Bourse, Giorgio Armani admet « nous n’en avons pas encore discuté ». Andrea Camerana, son neveu, est membre du conseil d’administration ; ses nièces Roberta et Silvana travaillent pour la marque. En 2016, il a créé une fondation caritative vouée à détenir une participation non divulguée dans l’entreprise. L”héritage du neveu et des nièces se porte sur le reste de l’entreprise.
Dans l’option d’un souhait de vente, chacun ne pourra être autorisé à céder sa participation qu’à la fondation.

« Les grands groupes ont de plus en plus de marques historiques dans leur ligne de mire » observe Giorgio Armani dans l’entretien accordé à Bloomberg. LVMH (propriétaire de Les Echos) détient déjà Fendi, Bulgari ou Berluti. Kering dont la marque principale est l’italienne Gucci, détient depuis l’an passé 30 % de Valentino, détenue par un fonds qatari. Si un rachat « peut assurer la croissance d’une part, cela entraîne d’autre part un inévitable changement de valeurs et des bouleversements importants, y compris pour le style » estime le vétéran.
Luca Solca (Bernstein) estime que les groupes de luxe européens voire américains pourraient être candidats au rachat. Armani estime finalement que « la meilleure solution serait un groupe de personnes de confiance qui me sont proches et que j’ai choisies ». Hors la famille, nièces et neveu, un des dirigeants de la fondation compte plus que les autres, Leo Dell’Orco. Il a été un pilier de l’entreprise de mode pendant des années.

S’associer à un rival ou prendre le chemin de la bourse, sont deux voix différentes. Notoirement discipliné, Giorgio Armani avait jusqu’ici regardé les dossiers ficelés par les banques d’investissement avec dédain. L’évocation du dilemme de la succession marque une étape pour l’entreprise valorisée plus de 8 milliards d’euros. L’industrie de la mode est « très différente de celle de mes débuts, alors j’imagine de multiples fonctions coordonnées pour ceux qui me succéderont » concède le grand fauve de la mode italienne.

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