J’aimerais tellement voter écolo. La question du rapport de l’homme à son milieu est d’évidence la plus critique aujourd’hui, même si les urgences de l’actualité la renvoient sans cesse au second plan. A quoi bon se chamailler sur l’égalité et la liberté, la redistribution et la souveraineté, les droits des uns et les privilèges des autres, si le fondement même de nos sociétés, l’environnement dans lequel elles s’inscrivent, est au seuil de la rupture ? Au-delà même du dérèglement climatique et de l’exigence de décarbonation, qui offre la confortable illusion de solutions purement techniques, c’est l’effondrement vertigineux de la biodiversité qui devrait nous interpeller. Un mode de vie qui tue la vie n’est pas vivable. Je crains que, dans vingt ans, notre préoccupation soit moins de développer l’intelligence artificielle que de trouver de l’eau potable et des terres fertiles.

Voter utile
Les élections européennes semblent le meilleur moment pour voter utile. Le groupe des Verts représente plus de 10 % des sièges au Parlement européen. Dans un contexte de coalitions volatiles, établies sujet par sujet, il est en position d’exercer une influence déterminante. A Bruxelles, les Verts s’égarent moins dans leurs lubies sociétales et leurs chicaneries internes. Ils retrouvent le coeur de leur mission, en luttant pour le Pacte vert ou le règlement sur la restauration de la nature. Leur voix est d’autant plus précieuse que la droite européenne a brutalement tourné le dos à la cause écologique et se fourvoie dans un populisme productiviste.

J’observe donc avec une attention particulière la campagne nationale des Verts, qui ne manque pas de courage ni d’inventivité. Le recentrage de leur discours sur la question du vivant est une excellente nouvelle. Mais je n’ai pas lu sans frayeur leur appel à construire un « Etat providence européen », seul capable de fournir une « protection sociale climatique ». Sommes-nous condamnés à toujours plus d’Etat ?

Rappelons tout d’abord que, historiquement, la pensée écologique s’est construite contre le pouvoir central. Henry David Thoreau, le poète de « Walden », prônait la désobéissance civile vis-à-vis de l’Etat fédéral américain et se réjouissait de trouver dans la nature sauvage un refuge hors des lois. Elisée Reclus, géographe engagé qui voulait faire de l’homme la « conscience de la terre », était anarchiste. Arne Naess, fondateur de l’écologie profonde, appelait à une décentralisation extrême. Murray Bookchin, figure de l’éco-anarchisme, promouvait un « municipalisme libertaire » qui inspire aujourd’hui les révolutionnaires kurdes. Et même les post-marxistes des années 1970, Ivan Illich ou André Gorz, mettaient en garde contre la tentation de traiter les problèmes environnementaux par les dispositifs technocratiques qui en sont à l’origine.

Appétit d’autonomie
Cet appétit d’autonomie locale est fondé sur le principe d’une double responsabilité. Responsabilité individuelle : pas d’écologie possible sans ce « sentiment de nature » personnel vanté par Reclus. Et responsabilité communautaire : on prend d’autant mieux soin de son milieu que l’on est directement impliqué dans les décisions qui le concernent et exposé à leurs conséquences. C’est le sens des fameux « communs », qui ne sont aucunement réplicables à l’échelle d’une nation, sauf à titre de métaphore.

A l’inverse, l’Etat providence repose, comme l’a montré le philosophe François Ewald, sur une logique de transfert du risque. Si l’Etat Providence peut mettre en place une mutualisation bénéfique dans les domaines de la santé ou du travail, qui concernent les relations des êtres humains entre eux, il est illusoire de vouloir bâtir une écologie assurantielle , où l’on s’en remettrait au calcul actuariel pour garantir la bonne gestion des écosystèmes. Rien de moins propice à changer ses mauvaises habitudes que de « s’assurer » collectivement contre les dommages qu’elles entraînent ; comme s’il suffisait de s’en remettre à la règle pour pallier l’inconséquence des comportements. La nature doit être considérée comme une source de joie, pas comme un facteur de risque !

Racines
J’appelle les écologistes à revenir aux racines de leur mouvement, sans se laisser piéger par un étatisme probablement dérivé de leurs alliances politiques. Tout l’enjeu d’acceptabilité de l’écologie, y compris au Parlement européen, est de réconcilier l’individu et son milieu, la liberté et la nature. Il y a des politiques publiques considérables à imaginer pour donner aux communautés les moyens de s’organiser et de s’adapter. Dans une Europe fondée sur la subsidiarité, les écologistes doivent se faire les avocats de la décentralisation. Ils y gagneraient au moins un vote : le mien !

Gaspard Koenig

Lire l’article complet sur : www.lesechos.fr