Pour rejoindre le quartier de Kaweni, il faut partir de Mamoudzou, la capitale de Mayotte, et prendre la RN1, la grande route qui fait le tour de l’île, puis, après quelques kilomètres, laisser la voiture au bord d’un marché très animé en cette fin de ramadan. La fin du trajet se fait à pied. D’abord en traversant une aire de jeux pour enfants récemment construite à la place d’une friche – « avant, les gens avaient peur de passer ici, car ils craignaient pour leur sécurité », raconte d’entrée Hamidani Magoma, adjoint au maire de Mamoudzou chargé de l’aménagement. Ensuite en montant à travers des ruelles escarpées. C’est la fin de l’école. Par dizaines, les enfants s’égaillent en saluant les visiteurs avec un large sourire.

De part et d’autre s’alignent de petites maisons en dur. La municipalité de Mamoudzou présente un programme de construction de huit logements près du cimetière, où des ouvriers, sous une chaleur accablante, s’affairent. Reconquérir les terrains vagues pour en faire du logement social est une priorité. « On proposera des loyers très faibles », explique en marchant Elodie Furic, directrice de la rénovation urbaine de la ville.
Mais la réalité s’impose : progressivement, l’habitat en dur du bas de Kaweni laisse la place à des baraques de tôle, les « bangas »,comme elles sont surnommées à Mayotte. A l’origine, il s’agissait de cases construites par des adolescents pour marquer leur passage à l’âge adulte. Ils sont devenus un habitat d’urgence pour des familles entières. Kaweni est présenté comme le plus grand bidonville « d’Europe ». Il y en a des dizaines comme celui-là sur l’île et les services de l’Etat sont débordés.

« Installés sur des pentes à 50 % »
Partout à Mayotte, des Mahorais et des migrants, légaux ou illégaux, habitent dans ces bangas. Certains paient même un loyer, malgré l’absence d’eau potable ou d’électricité. A Kaweni, les bangas, reconnaissables à leurs bâches bleu ciel, grignotent les collines mètre par mètre. « Les gens n’hésitent pas à s’installer sur des terrains avec une pente à 50 %. Cela pose d’énormes problèmes d’aménagement. Il n’y a pas de loi, chacun fait ce qu’il veut et cela donne des bagarres avec la police », reprend Hamidani Magoma.
Compter ces habitants relève du défi : selon les pouvoirs publics, sur les 300.000 habitants officiellement recensés à Mayotte – certaines estimations vont bien au-delà et évoquent le chiffre de 400.000 -, le tiers vit dans un habitat insalubre.
Dans le département, le nombre d’habitants a explosé au cours des dernières années : il a été multiplié par douze en soixante ans et il a augmenté de 50 % depuis 2012. La raison est double : un taux de natalité élevé (quatre enfants par femme en moyenne) et une immigration devenue hors de contrôle. Sur l’île, la moitié de la population est étrangère. Et sur les 100.000 habitants des bangas, la moitié est composée de migrants irréguliers, principalement venus des Comores voisines à bord de pirogues.

Route migratoire
Mais aujourd’hui, les Comoriens ne sont plus les seuls à venir à Mayotte chercher une terre d’accueil. Les autorités font état de migrants venus d’Afrique (Somalie, République démocratique du Congo…), mais aussi de Syrie, du Yémen ou encore d’Irak. En plus d’être une destination, Mayotte se trouve sur une route migratoire. Les 25.000 expulsions annoncées par les services de l’Etat ne parviennent pas à compenser les arrivées quotidiennes de kwassas kwassas, du nom des canots de pêche traditionnels des Comores devenus transporteurs de migrants.
La géopolitique s’invite aussi compte tenu de la situation géographique de l’île, qui reste revendiquée par les Comores malgré une indépendance votée par les habitants en 1976. « La présence russe pour déstabiliser la région est établie », lâche-t-on à la préfecture de Mayotte. « Aux Comores, la Russie n’hésite pas à jouer des tensions liées à la situation à Mayotte, allant même jusqu’à se prononcer en faveur d’une Mayotte comorienne », confirme de son côté le dernier rapport de la délégation parlementaire au renseignement.
Concrètement, la France accuse la Russie de contribuer à l’arrivée de migrants à Mayotte, en fournissant notamment des moteurs pour les pirogues. Aux Comores, on dit aussi aux malades du choléra d’aller se faire soigner à Mayotte, accuse la France. Le 10 avril, quatre porteurs de la maladie ont été interpellés sur des embarcations en provenance des Comores. Ils venaient de la République démocratique du Congo.

Constamment au bord de l’explosion
L’île de Mayotte est constamment au bord de l’explosion. La pression migratoire entraîne des conséquences multiples qui font de ce département, statut qu’elle a obtenu en 2011, un endroit à part en France. Outre une proportion inédite d’habitat insalubre, l’île souffre d’une insécurité endémique, principalement du fait de mineurs. Un seul chiffre : le taux de cambriolage est quatre fois supérieur à celui de l’Hexagone, une personne sur deux se dit « souvent » ou « de temps en temps », en insécurité.
Le simple compte rendu de la nuit du 1er avril par les forces de sécurité donne une idée : à 1 h 15, des patrouilles circulant sur la RN1 se sont fait attaquer par une centaine de jeunes à coups de machettes et de cailloux. Après avoir riposté avec des grenades lacrymogènes et des tirs de LBD, les gendarmes ont mis près de deux heures pour dégager les barricades et ramener un semblant de calme.
Régulièrement, des bus scolaires et collèges font aussi l’objet d’attaques en règle faites par des bandes de jeunes. Le 10 avril, un record a été battu avec l’attaque de 18 bus scolaires le même jour. Dans les rues, on ne compte plus les voitures de gendarmerie avec des impacts sur leur carrosserie. La nuit, rares sont ceux qui s’aventurent dans les rues.

Délinquance « hors norme »
Dans une étude rendue en 2021 – la situation s’est dégradée par la suite – l’Insee avait choisi une expression choc pour qualifier la délinquance à Mayotte : « hors norme ». « Les problèmes viennent des étrangers. Ils doivent être ramenés chez eux. On assiste à un remplacement de la population de Mayotte », lâche début avril Laithidine Ben Saïd, maire de Mtsamboro, au nord-ouest de l’île à l’occasion d’une rencontre avec la ministre des Outre-Mer, Marie Guévenoux, à l’assemblée départementale de Mayotte.
Les délinquants sont de jeunes Comoriens se retrouvant seuls et de jeunes Mahorais, membres de bandes rivales, qui s’affrontent régulièrement en plus de s’attaquer aux automobilistes ou aux habitations. Face à cette délinquance et à l’immigration, les dérapages verbaux des élus locaux ne sont pas rares.
En mars, Salime Mdéré, premier vice-président du conseil départemental, a été condamné à trois mois de prison avec sursis et 10.000 euros d’amende pour provocation à commettre un crime. « Ces délinquants, ces voyous, ces terroristes, à un moment donné, il faut peut-être en tuer. Je pèse mes mots. Il faut peut-être en tuer », avait-il déclaré un an plus tôt avant de regretter ses propos devant le tribunal.

Ecoles surchargées
Les écoles sont surchargées et sont parfois obligées d’assurer les cours par rotation. « On ne fait pas de l’éducation, mais de la scolarisation de masse et de la garderie », s’alarme un maire de l’île. Souvent, les maires refusent de construire de nouvelles écoles pour ne pas qu’elles servent de pompe aspirante à l’immigration.
La maternité est saturée – sur les 10.000 bébés nés chaque année à la maternité de Mamoudzou, ce qui en fait la plus importante de France. 75 % ont une mère étrangère, souvent sans papiers. L’accès à l’eau potable est structurellement insuffisant (il manque 6.000 m3 par jour). Les infrastructures sont défaillantes. Le chômage est stratosphérique (34 %, soit le plus haut niveau pour un département). L’économie sans aucun dynamisme et le tourisme est quasi inexistant malgré des lagons de toute beauté.

Le suivi n’a pas été au rendez-vous
Des mesures présentées comme radicales ont été prises, mais les résultats se font encore attendre. Comme l’a rappelé la Cour des comptes, Mayotte avait l’objet de deux plans spécifiques au cours de la dernière décennie. Mais le suivi n’a pas été au rendez-vous.
La semaine dernière, le gouvernement a lancé la deuxième opération Wuambushu pour lutter contre l’habitat insalubre et l’insécurité. Le RAID et le GIGN, unités d’élite de la police et de la gendarmerie, sont sur place, ainsi qu’un renfort de plusieurs centaines de policiers portant les effectifs à 1.700. « C’est autant de forces de l’ordre que dans les villes de Nice, Rennes et Montpellier réunies », se félicite-t-on dans l’entourage de Marie Guévenoux. L’opération vise à l’arrestation de 60 chefs de bande et le « décasage » de 1.300 bangas, même si le relogement fait largement défaut.
Aujourd’hui, la gendarmerie a le droit de tuer les chiens errants, souvent utilisés par les délinquants pour terroriser la population. Les ventes de machettes, armes le plus souvent utilisées pour les agressions, sont interdites depuis le mois de mars. « La délinquance a atteint à Mayotte un niveau hors norme et la sécurité y est devenue la première préoccupation des habitants. La confiance dans les forces de l’ordre est faible », notait la Cour des comptes dans un rapport publié en juin 2022.

Sur place, les habitants ne cachent pas leur impatience. « On souffre ici », lâche une habitante visiblement à bout. « La population est frustrée. La violence peut reprendre n’importe quand », lâche un autre.

La crise du stade de Cavani
Un brusque regain de tension s’est invité en début d’année. L’occupation du stade de Cavani à Mamoudzou, la capitale, par plusieurs centaines de migrants venus d’Afrique a provoqué un nouvel accès de fièvre dans l’île. Habitants et migrants logés sur le stade se sont retrouvés pour un face-à-face tendu, obligeant le gouvernement à prendre des mesures radicales pour faire baisser la tension : quelque 200 migrants éligibles au droit d’asile ont été transférés dans l’Hexagone.

Supprimer le droit du sol, c’est supprimer l’intérêt d’aller accoucher à Mayotte ou de faire une fausse reconnaissance de paternité. Cela ne résoudra pas tous les problèmes, mais cela viendra épuiser les flux liés à la quête d’un titre de séjour.
Marie Guévenoux, ministre des Outre-Mer

Des barrages montés par des « collectifs » d’habitants ont bloqué l’île pendant de longues semaines avant d’être finalement retirés. A leur tête, des habitants à bout de nerfs. « Les personnes dans le stade venaient de l’Afrique des Grands Lacs. Sont-elles dangereuses ? En bonne santé ? Que va-t-on faire de ces gens en attendant ? On n’a pas les hébergements nécessaires. Le danger est que les gens qui n’ont aucune maîtrise de soi, s’en prennent à tout ce qui passe. Certains Somaliens sont envoyés pour créer une crise ou, je ne sais pas, une guerre civile. Ce sont des jeunes hommes forts », s’alarme la responsable d’un de ces collectifs lors d’une rencontre début avril avec Marie Guévenoux.

Fin du droit du sol
A peine nommée en février dernier, celle-ci a fait sa première visite officielle à Mayotte. Elle y est retournée début avril, n’ayant d’autre choix que de prendre à bras-le-corps la situation de l’île. « Je suis déjà venue trois fois à Mayotte et je reviendrai début mai. La première fois le climat était d’une extrême tension et l’île soumise à des blocages qui aggravaient la situation sécuritaire », précise-t-elle.
Le prix à payer pour la fin des barrages ? La fin du droit du sol, déjà dérogatoire depuis 2018, et celle de la territorialisation des titres de séjour pour les immigrés réguliers et la promesse d’une nouvelle loi pour le développement de Mayotte. « Supprimer le droit du sol, c’est supprimer l’intérêt d’aller accoucher à Mayotte ou de faire une fausse reconnaissance de paternité. Cela ne résoudra pas tous les problèmes, mais cela viendra épuiser les flux liés à la quête d’un titre de séjour. J’assume une mesure radicale et pragmatique », plaide la ministre auprès des « Echos ».
A la quasi-unanimité, les élus mahorais sont favorables à la suppression du droit du sol à Mayotte, projet qui nécessite une réforme constitutionnelle . Marie Guévenoux devra aussi convaincre sa propre majorité, qui ne cache pas ses réticences.

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