L’idée de séparer la pensée du corps et de la loger dans une machine relève de la science-fiction ou bien d’une mystique religieuse, mais pas d’une démarche scientifique. L’intelligence humaine est indissociable du cerveau et du corps. Les cent milliards de neurones de notre cerveau sont connectés entre eux par un million de milliards de synapses. La combinaison de l’influx nerveux et des molécules des neurotransmetteurs, qui est propre à la matière vivante, permet de nuancer sans limites le contenu des messages échangés entre les neurones.  Rien à voir avec le fonctionnement des puces de silicium dont le code binaire obéit aux règles de calcul des algorithmes programmés dans la machine. Laisser croire à une fusion entre intelligence humaine et intelligence artificielle, entre la matière vivante et la matière inerte, est totalement indéfendable face à la réalité du fonctionnement du cerveau humain.

 

Face aux prophéties transhumanistes, le grand public a bien du mal à se repérer. La fusion entre la pensée et l’ordinateur est-elle un pur fantasme ou s’agit-il d’un futur probable où les robots humanoïdes mèneront le monde ?  Les récits de science-fiction ont bercé notre enfance et beaucoup continuent d’être fascinés par ces perspectives : certes, on a marché sur la Lune, on a créé des stations orbitales, alors pourquoi être réticent à l’idée qu’un jour on pourrait devenir mi-homme mi-machine ? La banalisation de ces discours est alarmante car elle laisse croire que le progrès réside dans la transformation de l’humanité par l’intelligence artificielle et les neurotechnologies. Les GAFAM en sont les premiers promoteurs pour occuper le marché des technologies futuristes et attirer des financements. Il est dès lors essentiel d’informer un large public de non spécialistes sur des innovations technologiques réellement bénéfiques pour "réparer" les humains, et celles qui visent à transformer les individus et menacent leur liberté d’agir et de penser.
 
 La constitution de bases de données de plus en plus massives permet de croiser les données d’un patient avec celles de milliers d’autres, avec pour objectif d’établir des diagnostics et de proposer des solutions thérapeutiques. Des logiciels d’aide à la prescription sont déjà disponibles dans de nombreux domaines tels que l’imagerie médicale, la génétique, l’anatomo-pathologie. On nous prédit que l’intelligence artificielle sera supérieure à celle de l’humain pour le dépistage de tumeurs.
 
La question se pose de la place laissée au médecin face à "l’avis" de la machine. En cas de désaccord, quelle marge d’autonomie sera celle du médecin pour contester le diagnostic posé par l’IA ? Où situer la responsabilité si une erreur médicale est avérée ? Le danger est bien de déléguer un pouvoir de décision à une machine dans des métiers (médecine, justice) où la dimension humaine de la prise de décision est fondamentale, car c’est le devenir d’un autre être humain qui est en jeu.
 
L’enthousiasme suscité par les perspectives de victoires sur les handicaps et le vieillissement du cerveau ne doit pas occulter la vigilance face à ceux qui seraient tentés de transformer notre esprit et notre rapport au monde. Une réflexion éthique s’impose afin que les avancées technologiques en neurosciences et en intelligence artificielle s’orientent dans le respect des droits humains et des libertés fondamentales.

 
« Le cerveau humain est le résultat de millénaires d’évolution biologique qui ont permis l’émergence de la pensée ». Pouvons-nous laisser cette connaissance aux mains d’ingénieurs, d’informaticiens, alors qu’il semblerait logique que les chercheurs en neurosciences et en biologie participent des découvertes et évolutions des réseaux de neurones qui sous-tendent les fonctions cognitives en permanence en interactions avec l’environnement, les apprentissages, l’âge, etc, pour permettre la préservation de la biodiversité ou l’équilibre écologique de la planète […] ?
 

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