Bitcoin, bingo ou dingo ? La plus célèbre des cryptomonnaies a franchi la barre des 72.000 dollars. A première vue, c’est une folle envolée. A y regarder de plus près, l’envolée s’explique. A y regarder d’encore plus près, l’épopée de cet actif numérique relève du mystère. Mais s’agit-il d’une exception ?

Le bitcoin est loin d’être le seul actif financier à monter toujours plus haut. Depuis plusieurs mois, les marchés boursiers ressemblent à un paysage alpin hérissé de sommets. Gonflés par l’espérance d’une baisse des taux d’intérêt, l’or, les actions et les obligations sont emportés dans une ascension infernale. La Bourse de Tokyo a battu un record vieux de trente-cinq ans. Le fabricant américain de puces Nvidia a un cours de Bourse qui a augmenté de 90 % depuis le début de l’année, moitié plus que le bitcoin.

Porte ouverte en grand
La vieille loi du marché s’applique aussi très bien à cette nouveauté qu’est le bitcoin. L’offre va se raréfier avec un événement inscrit dans son logiciel, qui devrait avoir lieu en avril : le « halving ». Les acteurs qui participent à son fonctionnement vont voir leur rémunération en bitcoin divisée par deux. Autrement dit, le « halving » va ralentir l’émission de nouveaux bitcoins. Rappelant au passage que le bitcoin est fondé sur la rareté.
La demande, elle, est stimulée par une décision de l’autorité de tutelle des marchés boursiers américains, la SEC, début janvier. Contrainte par une décision de justice, la SEC a autorisé plusieurs gérants d’actifs à lancer des produits d’investissement indexés sur la cryptomonnaie, des « ETF bitcoin ». Elle a ainsi ouvert en grand la porte de ce marché aux petits épargnants. Et poussé les géants du secteur, comme BlackRock, à acheter d’énormes quantités de bitcoins.

Commissions généreuses
Les grandes banques américaines se ruent sur cette activité. Elles n’aiment rien tant que de vendre de nouveaux produits en vantant leurs perspectives miraculeuses. Elles encaissent ainsi des commissions généreuses, comme il y a vingt ans avec les produits structurés autour des prêts subprime.
De leur côté, les épargnants aguerris aux cryptomonnaies retrouvent de l’appétit pour le bitcoin. Ils ont digéré les chocs de l’année 2022 et du début 2023, de l’effondrement de la cryptomonnaie Terra à la faillite de Silvergate Bank en passant par la chute de la plateforme américaine d’échanges FTX. Ils commencent même à retrouver une partie des dollars perdus dans ces secousses.

Deux pizzas pour 10.000 bitcoins
Avec une offre limitée et une demande stimulée, il n’est guère étonnant que le bitcoin flambe. Jusqu’au moment où se pose une question simple : mais au fait, à quoi sert-il ?
Lors de son lancement annoncé fin octobre 2008, en pleine crise financière, le bitcoin avait été présenté comme « un système pour les transactions électroniques ». Ses partisans ont longtemps défendu l’idée qu’il servirait de monnaie d’échange. Mais à l’usage, il est trop lourd, trop lent. L’achat de deux pizzas pour 10.000 bitcoins en 2010 est une belle histoire et non le début d’une nouvelle ère.
Le deuxième usage d’une monnaie est la mesure de la valeur. Mais pour assumer cette fonction, une monnaie doit avoir un ancrage. Difficile de mesurer une longueur avec un mètre qui changerait de taille à chaque instant. Or le bitcoin, fondé sur un système totalement décentralisé, n’a aucun ancrage. Sauf à devenir le coeur du système monétaire, il ne peut donc pas servir d’étalon.

Recouvrir le toit des Invalides
Le bitcoin assume en revanche clairement la troisième fonction d’une monnaie : il est un instrument de réserve, de placement. C’est donc un « cryptoactif » plus qu’une « cryptomonnaie ».
Le cryptoactif est toutefois différent des autres actifs qui ont tous une utilité. Une action rapporte des dividendes. Une obligation est d’abord une obligation de verser un intérêt. Un logement peut donner lieu à loyer – ou être habité.
Parmi les actifs financiers classiques, seul l’or ne rapporte rien. Il a d’ailleurs manifestement inspiré le ou les créateurs du bitcoin. Mais s’il ne rapporte rien, le métal jaune a une utilité. Au-delà du symbole, ses qualités physiques en font un excellent matériau pour les bijoux. Une infime quantité recouvre et protège le toit des Invalides. Il sert aussi à faire des prothèses dentaires ou des contacts dans les puces.

Lien à l’or disparu
Impossible en revanche de faire une dent ou une bague en bitcoin. Son existence n’est que virtuelle. Sa valeur vient uniquement de la croyance que nous avons en sa valeur.
Mais est-ce si différent du reste de la finance ? Les actions et les obligations sont de plus en plus virtuelles. Il y a plus d’un demi-siècle, le lien qui reliait les monnaies à l’or a été cassé. L’euro a été créé il y a près de trente ans sans la moindre référence physique. La monnaie n’est qu’histoire de croyance et de confiance, comme le rappelait l’historien Yuval Noah Harari.

Dette énorme
Bien sûr, derrière la monnaie, il y a l’Etat. Un Etat qui réglemente, qui surveille, qui organise le droit de propriété, qui garantit. Mais cet Etat n’est pas infaillible. Il n’empêche pas les crises. Il fabrique de la monnaie de plus en plus inconsidérément, en particulier depuis la crise financière de 2008. Il émet une dette de plus en plus énorme. Les économistes de Bank of America soulignent par exemple que l’endettement des Etats-Unis s’accroît de 1.000 milliards de dollars… tous les cent jours.

Le bitcoin est un objet idéal pour un magnifique krach. Mais il est aussi le réceptacle de nos doutes légitimes dans l’avenir du système financier.

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