2.000 milliards de dollars de capitalisation boursière. Ce seuil franchi vendredi par Alphabet, la maison-mère de Google, en séance, a comme un air de revanche pour le géant américain, du moins d’un strict point de vue boursier. Car depuis l’arrivée de ChatGPT fin 2022 et après plusieurs couacs, Google cherche encore à rectifier le tir dans l’IA, face à OpenAI, Microsoft et Meta, alors que l’IA générative menace d’ébranler le quasi-monopole qu’il détient sur la recherche en ligne.

Sur le papier, pourtant, Google était bien positionné. Mieux : c’est lui qui a créé l’architecture dite Transformer sur laquelle repose GPT, le modèle d’OpenAI. « Nous sommes une entreprise AI-first depuis 2016 », racontait récemment Sundar Pichai, dans un post de blog. Voilà des années en effet que l’IA irrigue ses produits, comme le moteur de recherche, YouTube, Gmail, ou ses produits publicitaires pour les annonceurs. En matière de recherche, « cela fait quinze ans que Google travaille dans le machine learning et treize ans pour le deep learning », raconte aussi une figure scientifique du secteur.
Dans la bataille pour l’IA, Google détient deux autres avantages clé : un pool de talents et des ressources informatiques énormes, sans commune mesure avec celles des start-up, y compris OpenAI. Or malgré ces forces, Google a enchaîné les déconvenues.

Maux plus profonds
En février 2023, Google vit un premier « bad buzz » lorsque Bard, sa riposte à ChatGPT, fait une erreur factuelle au moment même où le robot est présenté à des journalistes. Rien d’anormal dans le monde des chatbots et des LLM qui « hallucinent » souvent. Mais Google perd malgré tout 100 milliards de dollars de capitalisation boursière dans la foulée.
Quelques mois plus tard, Gemini succède à Bard. Le nouveau modèle intègre une fonctionnalité de génération d’images. Mais Google doit vite interrompre l’outil, après avoir produit des images factuellement fausses – par exemple, des soldats allemands nazis à la peau noire. « Il est clair que cette fonctionnalité a loupé son but. Certaines des images générées sont fausses voire offensives », reconnaît alors Google, dans des excuses publiques.
Accidents isolés, ou manifestations de maux plus profonds ? Le poids de Google attire nécessairement plus d’attention médiatique, créant un effet « loupe ». Mais selon une enquête récente du « Financial Times », ces « ratés » seraient aussi dus à des problèmes organisationnels, chez ce géant de 182.000 salariés. Google y est décrit comme une succession « d’Etats dans l’Etat », où chaque division cherche à améliorer les produits (Gmail, YouTube etc.) avec de l’innovation incrémentale – au détriment d’une grande stratégie d’innovation globale et plus agressive.
C’est d’ailleurs pour cela qu’au printemps 2023, Google a fusionné les équipes de DeepMind, son laboratoire de recherche en IA installé à Londres, avec celles de Google Brain, installées en Californie. A l’époque, Sundar Pichai lui-même reconnaissait en creux le problème. « Il faut que nous travaillions plus vite, avec une collaboration et une exécution renforcée, et que nous simplifions notre prise de décisions, pour se concentrer sur ce qui permet d’avoir le plus gros impact », expliquait alors le patron.

La méthode des petits pas
Dans cette réorganisation, Sundar Pichai aurait repris en main personnellement le sujet de l’IA générative, parallèlement à ses fonctions de PDG, selon le « Financial Times ». Or le patron est réputé pour être prudent et chercher le consensus. Une méthode qui tranche avec la rapidité et l’agressivité d’OpenAI et de Microsoft, qui a investi plus de 10 milliards de dollars dans la start-up et a même failli recruter Sam Altman lors de la crise de gouvernance de l’automne 2023.

« Open AI a été extrêmement focus. Ils ont mis tous leurs oeufs dans le même panier, pour construire un modèle plus gros et sur un plus gros Transformer. Il y a eu une prise de risque technique, que personne d’autre n’a faite », décrypte un ancien de Meta.
« Un géant de la tech ne peut pas prendre les mêmes risques qu’une start-up », résume le patron d’un grand laboratoire en IA. Pour Google, ses milliards d’utilisateurs, sa capitalisation à Wall Street et la pression des régulateurs (un procès antitrust contre lui est en cours aux Etats-Unis) signifient que chaque erreur peut lui être fatale.

Dans ce contexte, Google avance à petits pas, notamment sur le Search. En mai, le groupe a lancé Search Generative Experience (SGE), une fonctionnalité gratuite qui permet de rajouter une couche d’IA générative sur certains résultats de recherche. Mais le nouvel outil a d’abord été testé, dans quelques pays, auprès d’utilisateurs volontaires. Contrairement à OpenAI qui n’hésite pas à lancer ses produits à grande échelle, quitte à les perfectionner après.

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